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de sa race le réseau de mystiques correspondances qui enserre harmonieusement l’univers sensible et le monde des âmes. La main du paysan se trahit jusque dans la serre chaude où Gustave III, « au visage inégal, la couronne de lauriers sur ses cheveux poudrés, » essaie d’acclimater les splendeurs de Versailles. Et lorsque les divisions politiques ont énervé le pays, lorsque le dernier des Wasa, « droit et raide dans l’étroit habit bleu, » le cerveau tourbillonnant de pensées malades, a perdu ce qui restait à perdre, la Finlande, et que la déchéance et la corruption paraissent irrémédiables, écoutez le pas des hommes qui cheminent derrière leur chariot, à travers les profondes forêts du Rœmen. L’aurore boréale irradie au-dessus du bruissement des sapins. Le Chariot des Charles sort des nuages. Le torrent se jette en insomnie sur les rocs. Le jeune Tegner est parmi ces hommes. A chaque pierre qui heurte les roues, le minerai du Vermland sonne dans le lourd caisson, et la voix de la Suède lui crie : « Je veux vivre ! Je vivrai ! » Ce fut cette nuit-là qu’il composa son poème de Svea. « Tegner, étoile rayonnante !… En l’écoutant, le sang de la Suède lui remonta tout rouge aux joues. » Admirable vision, la dernière des Images Suédoises.

J’avais franchi le portique qui ouvre sur la poésie de ce grand pays taciturne. Par ces routes d’hiver où, selon le mot de Tegner, « les dieux cheminent encore, » je m’éloignais aux premières cloches de Noël. Quand on est exposé à rencontrer des dieux, il n’est pas mauvais de se faire accompagner des poètes.

Le 24 décembre à Leksand, dans cette Dalécarlie où les Wasa commencèrent leur saga, et qui se partage avec le Vermland le cœur de la Suède.

Nous sommes arrivés la veille, de nuit, au milieu d’une foule silencieuse qu’attendait au débarcadère une autre foule également silencieuse. L’auberge a des chambres de grand hôtel et un salon spacieux : les meubles empire s’y étalent devant de vieux bahuts qui sentent le déménagement de Prague et autour d’une vieille horloge dalécarlienne qui retarde. Je n’aurais pas été plus surpris d’y trouver, devisant ensemble, les ombres de Bernadotte, de Gustave-Adolphe et du roi Gösta. Ce matin, je découvre le pays : des forêts, des eaux à moitié gelées, des collines parmi lesquelles la colline des Vieilles, où, au XVIIIe siècle,