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parade pour monter un cheval paysan, le Cheval d’Incendie, ainsi nommé parce qu’on le voyait partout où tourbillonnaient la flamme et la fumée. « Charles XII le reçut en héritage : il reçut la paix, la prospérité, la fidélité, l’appui de fortes épaules obéissantes, et Brandklipparen, le Cheval d’Incendie. » Snoilsky n’a point fait ressortir avec la même puissance que Heidenstam dans ses Karolinerna la singularité de ce cavalier glacial. Il l’a cependant marquée d’un trait qui n’est pas sans grandeur. Le roi de Saxe lui a envoyé sa maîtresse, la superbe Aurora Kœnigsmark. Revêtue de sa plus belle zibeline, elle se présente au camp suédois et attend sous la pluie le roi du Nord. Charles passe et ne lui jette pas même l’aumône d’un regard. J’aime cette apparition du jeune et fier Wasa, ses yeux hautains qui ne disent rien des passions de son âme, son mépris des voluptés faciles, sa marche en avant de froid illuminé. Je sens que, si j’étais Suédois, je lui pardonnerais mon héritage appauvri, parce qu’il a mis dans la vie de son peuple le stimulant d’un incomparable mystère ; et mon cœur bondirait encore à l’approche de Frederikshall, comme le cœur d’un condamné sous les fusils qui s’abaissent, au roulement des tambours.

Ce temps, où les tombes en Suède étaient plus nombreuses que ceux qui en portaient le deuil, ce temps de misère et d’exténuation, l’esprit suédois en a fait la mine d’or de sa poésie nationale ; et Snoilsky en a tiré peut-être son plus pur chef-d’œuvre : Sur la foire de Vernamo.

C’était à cette foire, en Smöland, que Per et Kersti échangèrent leurs bagues de fiançailles. Puis ils se séparèrent et convinrent de se revoir dans six ans. Per entra au presbytère. Kersti s’en alla chez le bailli. Le printemps arriva pour la sixième fois. La pauvre terre suédoise se para de belles couleurs, « comme si, cet hiver, aucun coup n’eût retenti à Frederikshall. » Per et Kersti se retrouvèrent, parmi les maigres bœufs, à la foire de Vernamo. Les yeux étincelant de joie, ils firent résonner leurs pièces de cuivre, des pièces qui ne portaient pas l’effigie du Roi, mais qui valaient de l’argent et de l’or, car c’était la monnaie de la Haute-Couronne, « et la Couronne n’enlève point par ruse et injustice le pain du pauvre. » Ils marchandaient déjà les casseroles de leur ménage, quand une voix connue traversa le bruissement de la foule. Un habit orné de boutons brillans, un nez rouge de fonctionnaire, un ton rogue : le