Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/836

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’on savourera le même apaisement ; et il ne s’épanouit que sur les étangs du silence. Il est fait de coïncidences heureuses, mais qu’on sait provoquer. Nous aimons, au déclin d’une fête, à nous regarder dans les yeux et à nous en renvoyer les dernières étincelles ou les derniers éclairs. Ils préfèrent éteindre les flambeaux, ne plus se voir, rentrer en eux-mêmes et y partager, à la faveur de l’ombre, le charme vaguement senti d’un accord éphémère. Les cloches du dimanche et des jours carillonnés répandent du stämning. Autour des héros et des morts chéris le stämning entretient un air de fête religieuse. La vie suédoise, comme la nature suédoise, est coupée de grandes eaux dormantes. Trop de gloire, et de gloire évanouie, dans trop d’immensité, trop d’orgueil comprimé dans trop de solitude, y élancent continuellement vers le ciel les soupirs du längtan ; mais les cœurs soulevés reprennent leur niveau dans le calme du stämning… Arrête-toi sur les bords de ce demi-sommeil, pêcheur en voyage, et jettes-y un coup d’épervier : tu retireras ton filet plein de songes et de fantômes, et tu en verras ruisseler l’ombre fuyante et le reflet lointain des mouettes du désir…

Nature, histoire, qualité des âmes, tout est poétique ; et l’étranger ne comprendra ce pays suédois que s’il arrive à s’en assimiler la poésie. Pourquoi ces paysages me parleraient-ils, à moi dont le passé n’y plonge par aucune racine ? Livré à mes seules impressions, que ferais-je, sinon d’y projeter des souvenirs, des regrets, des espérances, des rêves, importés d’une autre patrie ? Mais je leur demande de me dire comment ceux qu’ils abritent les voient et les interprètent. Et j’essaierai de les contempler à mon tour avec les mêmes yeux et dans le même esprit. Devant ces personnages de cathédrale et de musée, j’ai besoin que l’imagination de leurs descendans échauffe ma sensibilité. L’histoire m’intéresse moins ici que la façon dont elle se déforme, se transforme et agit sur les cœurs. La vérité historique est pour moi dans la vie secrète et forte que ces gens empruntent de leur légende, et, précisément, dans la superstition de leur passé.

Mes hôtes se préparaient au stämning de Noël, et, comme je voulais y communier avec eux, je me suis fait traduire des poètes suédois. Leurs poèmes, transplantés de l’idiome natal, ressemblaient à ces petits sapins déracinés qui, sous les nuits