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dont les végétations du songe recouvrent les richesses, et où il gémit lui-même sur la douceur qu’il éprouve à s’y emprisonner. Dès qu’elles s’approfondissent, la douleur et la joie rencontrent le längtan, la plus belle source de lyrisme qui ait jailli du désert de l’âme. Le längtan est partout en Suède : dans l’aspiration perpétuelle au mysticisme, dans la muette patience de l’amour, dans la gravité d’un Gustave-Adolphe, dans la froideur virginale d’un Charles XII, dans l’étrangeté d’une Christine, dans le sourire d’acteur d’un Gustave III, dans le front courbé d’un savant d’Upsal, dans l’ivresse solitaire d’un paysan. Tour à tour il les détache du sol et les y ramène pour les y enraciner davantage. La Suède ne conçoit pas dramatiquement les personnages de sa légende : elle en fait les expressions lyriques de son plus noble längtan. Descendez dans un cœur suédois ; vous y trouverez ses illusions meurtries couchées côte à côte avec les héros sanglans de Lutzen et de Frederikshall.

Ces âmes agitées et cellulaires échappent à leur inquiétude par le stämning. Le mot, dont aucun Suédois n’a pu me préciser le sens, doit signifier la sensation que toutes les autres concordent à créer une harmonie. Il s’établit parfois une entente sympathique entre les choses et nous. Sur les lignes monotones de la vie des notes se rencontrent qui spontanément s’organisent et forment une musique charmante. Le crépuscule tombe ; le paysage se voile comme un visage attristé. Ni le jour qui s’en va, ni la nuit qui vient, ni la nature qui se décolore ne sont mes amis. Mais tout à coup le chant d’un inconnu s’élève, et voici que le ciel mourant, l’agonie du paysage et la cendre de ma rêverie, nous entrons dans le cercle fraternel de cette onde sonore. Tant que durera ce chant, j’aurai l’impression que je fais partie d’un tout, et, si j’ai l’instinct religieux, d’être un des éléments indispensables du concert que, sur un point du monde, Dieu voulait se donner ce ; soir. Evanoui, j’en retiendrai l’écho pour endormir en moi la fièvre de l’isolement et pour y prolonger le délicieux stämning. Plus délicieux encore lorsqu’il m’unit à d’autres cœurs ! Ces individualistes Scandinaves ne communiquent entre eux que par le chant, la poésie, ou les sombres tunnels de l’inexprimable. Ils ne cherchent pas à penser, mais à sentir ensemble. Le stämning ne naîtra pas d’un échange d’idées, ni même d’une causerie familière. Il éclôt au bruit d’une chanson qui passe, à la clarté d’une lampe, sous l’haleine d’un parfum, devant des verres servis où