Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/802

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien fait, et plusieurs portraits du même maître. Je regrettais en voyant tout cela que vous ne pussiez pas être si heureux que moi, de voir le bonheur de Madame votre fille dans un lieu si agréable. Je croyais qu’on ne pouvait rien voir de plus beau en France, mais je fus bien détrompée comme je vis Versailles[1], qui passe tout ce qu’on peut imaginer de beau et de magnifique ; tout ce que l’homme dans Les Visionnaires[2] dit de son palais n’en approche pas. On y eut un dîner admirable, surtout pour le fruit, qui était une chose à peindre, car je n’en ai jamais vu de plus beau. »

Cette lettre familière est devenue un document historique depuis que Versailles n’est plus qu’un tombeau et que Saint-Cloud a été détruit. Elle nous rend l’admiration des étrangers, dans le derniers tiers du XVIIe siècle, devant les chefs-d’œuvre de l’art français contemporain. La civilisation qui produisait Versailles était aux yeux de l’Europe une très grande chose, que l’on s’ingéniait à imiter. Combien de princes allemands ont voulu avoir leur petit Versailles !

De Saint-Cloud, la duchesse Sophie accompagna Monsieur et Madame au Palais-Royal, où la reine d’Espagne prit congé d’eux « en jetant mille larmes… Il y avait un hurlement de cris et de pleurs par toute la cour, et je crois que plusieurs pleurèrent en ce jour parce que c’était à la mode, et qui n’avaient jamais vu la Reine. » La duchesse avait deviné juste. Affligés ou non, les spectateurs accomplissaient un rite, qui rappelle les vocifératrices à gages de certaines contrées, et auquel personne n’aurait osé manquer. Pour une mort, un simple départ, les demeures des princes s’emplissaient « d’un hurlement de cris et de pleurs, » accompagné de gesticulations violentes. L’ensemble de ces manifestations de commande formait des tableaux étrangement barbares pour une société aussi policée.

Le reste du séjour de la duchesse Sophie fut consacré à sa sœur l’abbesse, à quelques visites et à Madame, qui revint la voir à Maubuisson. Si Liselotte avait été malheureuse en ménage, l’occasion était belle pour se décharger le cœur dans le tête-à-tête, et elle n’était pas femme à la laisser échapper ; elle

  1. Le Roi, qui était resté à Fontainebleau, avait fixé le jour où Mme d’Osnabruck visiterait Versailles, et donné des ordres pour qu’on fit jouer les eaux en son honneur.
  2. Comédie de Desmarets de Saint-Sorlin (1595-1676).