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métier de faire des enfans. Quand Son Altesse Royale m’en fit la proposition, je lui répondis : « Oui, de bon cœur, Monsieur, et j’en serai très contente pourvu que Vous ne me haïssiez pas et que Vous continuiez à avoir un peu de bonté pour moi. » Il me le promit, et nous demeurâmes très satisfaits l’un de l’autre… Il était extrêmement désagréable de dormir avec Monsieur : il ne pouvait pas souffrir qu’on le touchât pendant son sommeil, de sorte que j’étais obligée de me mettre tout au bord, et qu’il m’est arrivé bien des fois de tomber comme un sac. J’ai été franchement contente quand Monsieur, en bonne amitié et sans être fâché, m’a proposé de coucher chacun dans son appartement[1]. » On l’entend tomber « comme un sac. » « Quand il m’arrivait par hasard d’étendre un pied en dormant et de le toucher, il m’éveillait, et me chapitrait une demi-heure de suite. J’ai eu une vraie joie… de pouvoir me coucher sans avoir peur d’être grondée ou de tomber de mon lit. » Elle disait encore, sur sa joie sans mélange, beaucoup de choses trop difficiles à répéter.

Un an plus tard, une lettre à la duchesse Sophie nous laisse entrevoir l’effort ininterrompu des favoris de Monsieur pour le brouiller avec sa femme. La « cabale » dont il va être question, c’est le groupe du chevalier de Lorraine, de sa maîtresse la maréchale de Grancey, de leur digne acolyte le marquis d’Effiat, et de comparses, mâles et femelles, de la même farine : « (14 novembre 1678.) Quant au souhait que forme Votre Dilection pour que le Diable emporte toute la cabale, j’ignore ce qu’il en adviendra, mais je sais bien qu’en ce moment, elle est déchaînée. Je crois qu’au lieu de les emporter dans l’enfer, le Diable a fait d’eux sa demeure, et qu’ils sont tous possédés ; je n’ose pas en dire davantage. Je suis très fière que Votre Dilection me trouve mieux que le portrait que j’ai envoyé à Mme de Harling, mais il y a sept ans que Votre Dilection ne m’a vue, et elle serait peut-être d’un autre avis si elle me revoyait. C’est moins la chasse que la cabale qui me vieillit et m’enlaidit ; depuis sept ans que je suis ici, elle m’a fait venir tant de rides, que j’en ai la figure pleine. » Cette plainte resta isolée un assez long temps ; la Liselotte des temps heureux ne se laissait pas absorber par les contrariétés, elle avait trop « de quoi se consoler. »

  1. Fragmens de lettres originales, etc., II, 47 (Hambourg, 1788, 2 vol.). Le même texte, plus complet, est donné en note dans les lettres à l’Electrice Sophie, II, 57. Nous nous en sommes servi pour compléter la citation.