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ne s’était pas refusé à une réconciliation ; ce fut Charles-Louis qui rejeta bien loin tout rapprochement avec la France, d’un ton aussi fier que si la correspondance sur l’Austrasie n’avait pas été dans ses archives. Sa réponse à Monsieur fut néanmoins gracieuse ; celle à Madame beaucoup moins. Il se défiait, et non sans raison cette fois. Liselotte était trop heureuse, et s’amusait trop, pour penser longtemps aux peines des autres ; ce sera pour plus tard, quand elle-même connaîtra le chagrin.

Dans ce même été de 1674, voulant parler à sa tante des ravages de Turenne, voici tout ce qu’elle trouva à lui dire : « (22 août). Souhaitons que Dieu nous accorde la paix, car la bouillie deviendrait bien chère dans le bon Palatinat, si M. de Turenne prenait encore des vaches. » C’était sec. La joie de vivre était trop forte ; elle étouffait tous les autres sentimens. La duchesse Sophie à Charles-Louis : « (25 août 1674.) Mme de Maubuisson[1] me mande que Madame a été avec elle et qu’elle est extraordinairement gaie, et qu’elle est engraissée et embellie… » — « (21 octobre 1677.) Madame me fait l’honneur de m’écrire les plus plaisantes lettres du monde, ce qui marque bien qu’elle est contente ; elle va à la chasse et à la comédie avec autant de plaisir que la feue reine notre mère le faisait autrefois… » — « (14 avril 1678.) Il n’y a rien de plus réjouissant que les lettres de Liselotte… Elle est bien heureuse d’avoir le cœur si tranquille. » Les esprits n’étaient plus au même diapason à Saint-Cloud et à Osnabruck ou Heidelberg.

Charles-Louis avait encore un autre grief, le plus cuisant de tous, contre Madame : elle ne faisait rien non plus pour les Raugraves. Pas un pauvre petit service, pas un liard pour leur faciliter quoi que ce soit. L’aîné, Carl-Lutz, lui avait été expédié dès 1673. Il n’avait que quinze ans, et la lettre où il raconte à son père son arrivée chez Madame est enfantine. Nous y gagnons un tableau naïf de Liselotte dans son intérieur, à Saint-Cloud, en compagnie de son premier-né et de ses deux petites belles-filles[2], dont elle s’était fait adorer : « (Paris, 1er juillet 1673.) Sérénissime Électeur, Gracieux Seigneur, je donne humblement

  1. L’abbaye de Maubuisson était près de Pontoise.
  2. Monsieur avait eu deux filles de son premier mariage avec Henriette d’Angleterre : Marie-Louise d’Orléans, mariée le 19 novembre 1679 à Charles II d’Espagne ; et Anne-Marie d’Orléans, dite Mademoiselle de Valois, qui épousa, le 10 avril 1684, le duc Victor-Amédée II de Savoie, et fut mère de la Duchesse de Bourgogne.