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Carte pour acheter son linge en Flandre[1]. » Elle se plaint dans une autre lettre de ne plus avoir que de vieux chevaux. Il y avait ainsi des tiraillemens pour tout ce qui ne ressortissait pas de la « Chambre aux deniers, » institution gênante, mais tutélaire. Quand le Conseil des finances avait approuvé le projet de budget dont l’État de tout à l’heure n’était qu’un chapitre, le chevalier de Lorraine lui-même n’aurait pu y changer une virgule. De façon que Madame, si elle n’avait pas la libre disposition de ses revenus, y gagnait d’être protégée contre la voracité des favoris de Monsieur.

Il en coûtait beaucoup de paperasseries et de formalités, qui n’étaient pas une nouveauté, et que M. Louis Batiffol a très clairement exposées dans un livre récent[2], à propos des dépenses de ménage de la reine Marie de Médicis : « En décembre, les bureaux préparaient les élémens du budget de l’année suivante. L’état, vu et signé de la Reine, était porté au Conseil des finances qui le révisait avec soin, équilibrait l’ensemble, s’assurait de la sincérité de chaque article, faisait telle modification qu’il jugeait utile, puis le tout soumis au Roi et approuvé par lui était renvoyé au trésorier de l’Épargne, lequel était chargé de faire porter, à la fin de chaque mois, au maître de la Chambre aux deniers de la Reine, au caissier, le douzième voulu. Chaque chef de service recevait alors copie sur parchemin du chapitre du budget le concernant, et son devoir était de s’y conformer étroitement… » La marche était la même pour Madame, et son trésorier, toujours comme celui de la reine de France, payait les fournisseurs directement, sans que l’argent eût passé par les mains de sa maîtresse. Ces détails expliquent que la princesse Liselotte, avec ses énormes revenus, fût strictement limitée pour ses menus plaisirs.

Marie de Médicis avait aussi été limitée, et en avait aussi gémi. Henri IV lui allouait 36 000 livres par an d’argent de poche, plus, disait-il, que n’en avait jamais eu reine de France, et elle faisait des dettes. Monsieur donnait à sa femme 12 000 livres, somme insuffisante pour une princesse aussi libérale, déclarait le marquis de Sourches[3], grand admirateur de Madame et

  1. Lettre du 7 mars 1696, à l’Électrice Sophie. La Carte était l’un des favoris du moment.
  2. La Vie d’une reine de France au XVIIe siècle, p. 470.
  3. Cf. les Mémoires pour le 5 janvier 1690.