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cassettes bondées de pièces d’or et de bourses de jetons d’or ou d’argent. Dans la journée, ou le lendemain, s’il avait été trop occupé, le Roi présidait au partage, n’oubliant jamais rien ni personne, et augmentant l’un, diminuant l’autre, selon les besoins des gens et selon leur conduite. Il arriva une fois à Madame, alors en disgrâce, d’être privée d’étrennes : « — On m’a punie, » disait-elle. Le Roi lui en redonna dès l’année suivante, quoiqu’elle laisse entendre le contraire dans une lettre[1] ; la princesse Liselotte était franche ; elle n’était pas toujours vraie.

Les cassettes du trésor contenaient invariablement trois cents bourses de jetons d’argent[2] et neuf de jetons d’or. Les premières étaient distribuées aux « grands officiers de la maison du Roi » et des « maisons des princes. » Les jetons d’or étaient réservés à la famille royale, et à quelques grands personnages tels que le chancelier de France et Je contrôleur général des finances. L’argent comptant se montait avant nos revers à 80 000 pistoles et davantage, sur lesquelles le Roi en gardait 40 000 pour lui[3] et distribuait l’autre moitié. Le grand Dauphin recevait 5 000 pistoles, Monsieur et Madame 3 000 chacun, pour ne nommer que les principaux. Les économies forcées commencèrent en 1693 par Madame, qui fut mise à 2 000 pistoles. Dans les années qui suivirent, tout le monde fut rogné, et, après un relèvement éphémère, les étrennes royales furent supprimées en 1710 : le trésor royal était vide[4].

Pour la partie féminine de la Cour, la pluie d’or prenait aussi la forme d’objets de toilette : bijoux, étoffes, rubans, dentelles, colifichets et fanfreluches, qui arrivaient à leur adresse d’une façon galante et impersonnelle. Tantôt le Roi offrait aux dames une loterie où tout le monde gagnait. Tantôt c’était un bazar, dont les boutiques étaient tenues par des princesses, par

  1. Lettre du 27 janvier 1700, à l’Électrice Sophie.
  2. Cf. le Journal de Dangeau pour les deux premiers jours de chaque année, de 1685 à 1715 (Paris, 1854-1860, 19 vol. in-8o).
  3. Au tome XVIII de l’édition in-8o de ses Mémoires, p. 431, Saint-Simon confirme le chiffre de 40 000 pistoles. Tome XIV, p. 245, il dit « 35 000 louis d’or, de quelque valeur qu’ils fussent. » Au taux qu’avait alors le louis d’or, cela revenait à peu près au même.
  4. Furent-elles rétablies avant la fin du règne ? Je ne saurais l’affirmer : Dangeau n’en parle plus qu’une seule fois, le 1er janvier 1714 : « Le Roi avait accoutumé de donner des étrennes à la famille royale, mais il n’en a point donné cette année. » On peut comprendre qu’il en avait redonné, bien que Dangeau n’en eût rien dit.