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et c’est là qu’est la monstruosité de la loi. Est-elle vraiment, est-elle seulement interprétative, cette loi ? N’est-elle pas, au contraire, une innovation formelle ? Qui peut le savoir mieux que moi, dit M. le ministre des Cultes, puisque j’en ai été le principal auteur ? Et il affirme avec une rare témérité qu’il a toujours considéré les fondations pieuses comme des libéralités. On comprend ce que cela veut dire : les libéralités étant faites sans conditions, on ne peut pas en poursuivre la révocation, sous prétexte que celles-ci ne sont pas exécutées. A maintes reprises, M. Briand a reproché à ceux qui combattent sa thèse de n’avoir pas lu d’assez près les travaux préparatoires de la loi de 1905 : ils y auraient vu, prétend-il, que sa pensée, sur ce point, n’a jamais varié. Un publiciste libéral, M. Armand Lods, a voulu en avoir le cœur net ; il s’est plongé dans la lecture des travaux préparatoires et de la discussion de la loi de 1905, et il a fait part au Journal des Débats de ses découvertes. Au cours de la séance du 19 juin 1905, le rapporteur de la loi, qui n’était autre que M. Briand, s’est exprimé en ces termes : « D’une façon générale, la Commission a voulu prohiber les dons et les legs. Nous avons admis les fondations pour messes ou pour services religieux, parce qu’il y a là un objet précis, facilement contrôlable, et qu’il s’agit en réalité d’un contrat à titre onéreux. Il n’en serait pas ainsi de legs à l’effet d’entretenir un ministre du culte. » Ainsi M. Briand, en 1905, déclarait que les fondations de messes étaient un contrat à titre onéreux ; en 1907, il déclare qu’il les a « toujours considérées comme des libéralités ; » et il conclut qu’il n’a pas varié ! Il n’est d’ailleurs pas le seul qui l’ait fait. M. Cruppi a été, dans toute cette affaire, non moins ondoyant et divers, et il a moins d’excuses, car il est un juriste, tandis que M. Briand n’est qu’un homme politique. M. Lahori a fait rire toute la Chambre, en mettant, par des citations précises, M. Cruppi en contradiction avec lui-même. Malheureusement, quand la Chambre rit, elle n’est pas désarmée pour cela : son vote n’a pas tardé à le montrer.

La thèse de tous les libéraux et des juristes, — à l’exception de M. Cruppi, — était très forte. Elle consistait à dire que, si la loi proposée était simplement interprétative, elle était inutile. Les tribunaux, en effet, ont pour fonction d’interpréter la loi en l’appliquant, et lorsque la Cour de Cassation s’est prononcée sur l’interprétation véritable, la jurisprudence est établie. On aurait compris que le législateur de 1905, s’il avait constaté dans sa loi une négligence de texte aussitôt après l’avoir faite, l’eût remise sur le chantier en vue de la rendre plus conforme à ses intentions. Il est un peu tard pour faire ce travail de redres-