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vermiformes, si nous les voyions agir dans les profondeurs vitreuses de la mer ou dans le jour équivoque des aquariums, nous paraîtraient quelque chose comme des variétés monstrueuses de méduses ou de siphonophores. Ce dernier état de la plus merveilleuse mécanique, de ces automates que l’homme inventa jadis pour se divertir et qu’il invente aujourd’hui pour travailler à sa place, est-ce là de la beauté ?

Regardons maintenant les engins qui sont des jambes. Regardons aussi ceux qui sont des dos, des bals ou des portefaix : les véhicules. Tapis à terre, tout en tête et en dos comme les crustacés, avec leurs gros yeux brandis au bout de leurs antennes, pour explorer la route, écarquillés sur leurs jambes courtes et rondes, arrondissant aussi leur bouche en nid d’abeilles, entrouvrant sur le côté leurs branchies, tremblotant, sifflotant, haletant, — tels ils fourmillaient, ces derniers soirs, dans la région du Grand Palais. On eût dit des monstres en liberté, tournant autour de la cage lumineuse où étaient enfermés leurs frères immobiles et les appelant de leur cri rauque, comme les vols d’oiseaux sauvages appellent leurs frères domestiques à partir avec eux. Sans doute il se dégage de ces lourds organismes une forte impression de vie. La fuite d’un énorme coléoptère d’acier, glissant et bondissant au long des routes, plongeant dans les vallées, grimpant sur le dos des collines, virant et voletant avec la joie d’un dauphin parmi les crêtes des flots ; cette masse se déplaçant avec aisance et sans trouble apparent, sans moteur agité, tout animée d’une intense force intérieure : voilà bien un spectacle plus émouvant-que les joujoux à vapeur figurés dans les gravures anglaises de 1830 ! Mais cette émotion, de quelle nature est-elle ? Ce corps sans membres, qui route comme de la matière animée ; ce mouvement sans gestes, qui a quelque chose d’effrayant et de souple à la fois, comme l’ondulation du serpent ; cette soudaineté de l’apparition et de l’évanouissement dans l’invisible, tout ce qui eût signifié à des peuples primitifs la présence d’une force surnaturelle, de quelles espèces dans la nature, inférieures ou supérieures, est-ce donc là le privilège ? Rien de ce qui est beau ne le possède. Nous ne le trouvons ni chez l’homme, ni chez le cheval, ni chez l’oiseau. C’est au plus bas de l’échelle des formes et de la vie qu’on le rencontre. Dans son état le plus perfectionné, l’engin automobile se ramasse et s’incurve selon le