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le monde, — il faut convenir que les machines gagnent, lorsqu’elles sont mises en œuvre par un moteur naturel, à être représentatives de leur moteur. Mais si l’on considère, — et c’est également là l’opinion de tout le monde, — que la machine animée par une force artificielle est encore plus vilaine quand elle montre ses rouages que lorsqu’elle les cache, il faut en conclure ceci : il n’est pas vrai que, dans toute machine, la beauté tienne à la visibilité des membres et à la représentation des moteurs. Ce n’était point parce qu’elle était représentative de son moteur que la machine ancienne était belle, et ce n’est point parce qu’elle ne l’est pas que la machine nouvelle est sans beauté ; mais c’est parce que l’une s’adaptait à un moteur esthétique, puisqu’il était naturel, — et la nature ne fait pas de fautes, — et que l’autre est animée par un moteur purement artificiel qu’il vaut mieux cacher le plus possible, car, n’ayant plus rien de la nature, il n’a plus rien de la beauté.

Patience ! nous disent d’autres esthéticiens : il la recouvrera pour peu qu’on le laisse faire. La machine moderne est à l’âge ingrat, — l’âge de l’évolution, par où ont passé tous les organismes vivans. Au début, il y a eu la phase de la « simplicité, » celle où l’adaptation restreinte au but élémentaire est parfaite. Plus tard, il y aura la phase de la « complexité harmonique, » celle où le but supérieur sera rempli par des moyens peu apparens et parfaitement mesurés. L’évolution qui s’accomplit conduit donc la machine, par un défilé difficile, vers un bel avenir esthétique.

Cette thèse, soutenue avec une pénétrante sagacité par M. Maurice Griveau, est séduisante comme toutes les thèses optimistes et, d’ailleurs, elle explique bien les diverses étapes des types animaux vers la Beauté. Mais peut-on l’appliquer à la machine ? Voilà le point. Jusqu’à un certain moment, la comparaison tient bon. Quand on parcourt un « musée » d’anciennes machines, on croit être dans un « Muséum » d’histoire naturelle au milieu d’espèces animales préhistoriques. L’homme, en construisant l’ « automate, » a tâtonné comme semble, en construisant l’homme, avoir tâtonné la Nature. Ces machines à vapeur qui datent de cent ans, ou à explosion qui datent seulement de quelques années, ont des figures contemporaines des machérodes ou des plésiosaures. Des milliers d’années semblent avoir coulé entre ces poussiéreux fossiles à pattes gigantesques