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au milieu d’une assemblée de gens surmontés de cet inexcusable agrément, nous voyions, tout d’un coup, paraître un quidam portant le feutre de Descartes ou du Poussin, nous serions un peu choqués. Pourtant, il n’y a aucun doute que ce fût là une coiffure infiniment plus belle, mais ce n’est point à la beauté que nous penserions alors, ni à l’ampleur des lignes, ni à l’harmonie des plans : c’est à la correction et à l’usage. Car ce que nous cherchons dans l’élégance du costume, ce n’est pas la « beauté, » mais la « correction » qui est une des formes de la politesse, et qui n’a rien à voir, non plus, avec l’adaptation pratique aux nécessités de la vie. Ce « quelque chose de sombre et surnaturel, » que nous portons sur le chef et qui ne nous choque pas, ne s’accommode, en fait, d’aucune des exigences de notre vie moderne, tandis que le large feutre, qui nous choque, s’y ajusterait fort bien. D’où il suit que telle chose peut nous choquer, que nous trouvons belle et même pratique, et qu’alors l’accoutumance, en nous libérant du choc de l’inaccoutumé, ne fera que confirmer notre impression de sa beauté.

Mais, au rebours, il peut advenir que telle chose que nous trouvions laide nous choque de moins en moins, non qu’elle cesse de nous paraître telle, mais parce qu’elle nous le paraît depuis très longtemps. Les yeux s’habituent à la laideur, comme le corps aux infirmités et, après le premier signe de la douleur ou de la décrépitude, qui le « choque » extrêmement, le vieillard ressent, de moins en moins, sa disgrâce et sa diminution. Mais celles-ci sont-elles moindres qu’au premier jour ? Et devons-nous les porter à l’actif de l’humanité parce que l’humanité, à la longue, s’y résigne ? On s’habitue à voir passer des automobiles, depuis la fin du XIXe siècle, comme à la fin du XVIIIe, on s’habituait à voir passer des charrettes de condamnés. Et de même que les premières guillotinades furent celles qui « choquèrent » le plus, de même fûmes-nous plus « choqués » par les premières machines à pétrole que nous vîmes il y a dix ans, et nous résignons-nous, aujourd’hui, à l’inévitable. Mais n’allons pas confondre la résignation, qui est un sentiment tout passif, avec l’admiration ! Ne prenons pas notre douleur esthétique pour un préjugé que le temps transformera, peu à peu, en un émerveillement ! Nous nous habituerons, sans doute, à la silhouette de l’automobile, comme nous sommes habitués à celles du « haut-de-forme, » du « fiacre, » de « l’habit noir » et de tant d’autres