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adorateur prosterné, en lui ordonnant d’ériger une pagode en ce lieu et de la lui dédier.

« J’obéirai, Seigneur, s’écria le Naïk. Mais que votre puissance m’enseigne comment trouver l’argent pour payer les travailleurs, car je suis moins que riche. — Va-t’en de ce pas, répondit le Dieu, chez le Paradési qui a son ermitage dans la montagne voisine, et il t’enrichira. » Ayant ainsi parlé, Varadarajassamy disparut.

Sachant que les ordres des Dieux ne souffrent ni objection, ni retard, Tupakala, armé de son arc et de son carquois, recommença de marcher. Il trouva l’ascète en contemplation sur le seuil de son antre sauvage et tenant la plante merveilleuse qui, entre autres qualités, possédait celle de muer toute matière en or fin. Une seule condition était nécessaire. Les feuilles en devaient être cuites dans un récipient où bouillirait le corps d’un saint, et ce corps deviendrait, à l’heure même, un lingot d’or qui se reformerait au fur et à mesure des besoins. L’herbe miraculeuse se trouvait entre les deux hommes, également saints, et une chaudière chantait sur le feu du solitaire qui n’ignorait rien des vertus de la plante, non plus que de son visiteur.

« Si je le jette adroitement dans le chaudron, songeait-il, j’aurai une réserve inépuisable de métal précieux et je serai roi en ce monde. L’important est d’amuser ce Naïk et de profiter du moment. »

Mais Tupakala, que ses vertus rendaient perspicace à l’égal du Paradési, entra dans une grande méfiance : « Les sages du désert, se dit-il, n’abondent que trop souvent en mauvaises intentions. Celui-ci tourne autour de moi avec la mine sournoise d’un chacal. Mettons-le à mort sans tarder, car s’il me tue, je ne pourrai accomplir la volonté du Dieu. »

Prenant son temps à propos, il précipita le vieillard dans la chaudière. Le corps, sans que l’eau rejaillît, devint aussitôt d’or massif. Tupakala comprenant que le prodige était un signe de la bienveillance de Varadarajassamy, tira son cimeterre, coupa un bras du Paradési et l’emporta chez lui. Quand il revint, le lendemain, pour continuer de débiter sa victime, sa surprise et sa joie furent sans bornes de voir que le membre avait repoussé. Confiant dans la protection du Dieu, il rassembla les artistes les plus fameux dans l’art de sculpter la pierre. Ainsi fut construite la pagode de Singavéram où ne fut épargnée aucune