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quarante-cinq milles de là, Conjeveram, une des sept grandes cités saintes de l’Inde, dans le talukia de Palour, bien au Nord-Ouest de Genji, entre Vellore et Madras, et dont l’antiquité, au dire des vieux voyageurs chinois, était aussi ancienne que le Bouddha lui-même. Conjeveram ! Que de regrets pour moi dans ce seul mot ! Le temps me manquera pour visiter ces temples réputés, dans l’Inde dravidienne, entre tous ceux que construisirent les architectes médiévaux de Vijianogar. Celui de Civa montre encore, incrustés dans son gopura principal, qu’éleva la piété de Krichnadeva Ranja, les boulets dont le battit Hyder-Ali, contempteur audacieux des divinités pouraniques. Civa, Brahma et Vischnou ainsi bravés se vengèrent avec usure de l’usurpateur musulman et de son fils, l’iconoclaste Tippou Sahib. Tant il est vrai que les contempteurs des Dieux, depuis Mézence, pour ne pas remonter plus haut que Virgile, ont fait, tôt ou tard, une mauvaise fin.

A l’époque incertaine où vivait le Naïk Tupakala, le Grand Dieu était vénéré dans son temple de Conjeveram sous le nom de Varadarajassamy ; ainsi appelait-on son idole. Pour l’orner chaque jour de guirlandes fraîches, Tupakala entretenait un jardin qu’il arrosait de ses mains, et pas une fleur n’en sortait qui ne fût destinée à la statue du Dieu. Je vous ai dit déjà le plaisir singulier que prirent toujours les divinités de l’Inde à induire en tentation leurs plus fidèles adorateurs. Un matin, le Naïk jardinier apprit qu’un énorme sanglier s’ébattait dans son enclos, retournait la terre et déracinait les arbustes. Prendre son arc et son carquois fut pour le tchatria l’affaire d’un instant, et il se mit à la poursuite de l’envahisseur. Les flèches, sans doute barbelées, — car la loi de Manou n’en autorise l’usage qu’à la chasse, — ne rencontraient que le vide. Si bon archer que fût Tupakala, son arc ronflait en vain, et le sanglier fuyait sans hâte, demeurant toujours à portée des traits qui ne l’atteignaient point. Le Naïk donna un magnifique exemple de persévérance. Durant quarante-cinq milles, soit une vingtaine de lieues, il suivit la bête noire, pour la punir de son impiété. Il l’accula enfin à ce rocher même sur lequel se dresse la pagode de Singavéram. Un Dieu, même s’il emprunte la forme périssable d’un sanglier, ne s’embarrasse pas pour si peu. Creusant le roc de son boutoir, jusqu’à y façonner une caverne, le monstre y reprit les espèces de Varadarajassamy ot apparut aux yeux de son