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poudreuse, était plantée uniformément, administrativement, de tamariniers au feuillage finement découpé, d’un vert clair, avec des longues gousses rougeâtres.

Ces arbres à bois dur donnent l’ombre au voyageur, — s’il se contente de peu, — et aux Ponts et Chaussées anglais le moyen d’entretenir la route sans bourse délier. Les fruits du tamarin sont un article de consommation d’importance première, en Inde. Employés comme condiment, médicament astringent, mordant propre à nettoyer les cuivres, — et je m’en tiens aux usages principaux, — ils sont de vente courante. La récolte des tamariniers en bordure de route, plantés par le service public, est affermée pour une somme assez forte qui sert à payer les cantonniers et les matériaux. Tant que les pluies ne tombent pas en excès, la vicinalité du Carnalic mérite tous les éloges. Mais si, — par un hasard malheureusement trop rare au gré du laboureur, du rayot, que ruine la sécheresse, — l’eau du ciel s’abat à profusion sur la contrée, alors les ornières, les cloaques, les mares sillonnent, coupent, barrent la grande route. Puis, sous l’averse monstrueuse, elle disparaît par places, ne faisant plus qu’un avec l’étang ou la rizière, et si les charrettes s’aventurent dans le déluge, l’eau monte au-dessus des essieux, les bœufs s’enlizent dans la boue jusqu’aux cornes.

Singulier pays qui semble n’avoir jamais connu les saisons régulières et qui ne profite point du bienfaisant apport des moussons. Quand ce n’est pas la sécheresse affreuse avec sa famine inévitable, c’est l’inondation dont l’excès amène les pires maux. L’eau limoneuse, dans la plaine transformée en lac, entraîne bestiaux et paillottes, ponts, villages. Et, quand tout se remet en place, le choléra complète généralement le désastre. Jadis j’ai vu cette route de Tindivanam perdue sous l’eau ; aujourd’hui, c’est un long ruban empierré où l’on étouffe parmi les tourbillons de poudre. Aussi je ne reconnais plus rien. Et je songe, entre mes bottes de paille où mon être se sent merveilleusement calé, à cet humide Malabar où, il y a quelque six semaines, je passais les rivières débordées, en une mauvaise pirogue que remplissait la pluie torrentielle et tiède, accroupi dans l’eau avec mon ami Bourgoin, sous le commun abri d’une mauvaise natte. Bien qu’ayant passé les limites de la jeunesse, je retrouve en ces pérégrinations modestes tout l’attrait de jadis. Loin de la