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n’ose pas dire le mien, — en wagon. Puis il me souhaita un bon voyage, et se disposa à retourner en ville. Et comme je lui rappelais ses engagemens, il s’excusa d’une façon évasive, argua d’affaires de famille, invoqua le retour inattendu de sa femme, s’embrouilla dans des histoires confuses. Je dus partir sans Soupou, et le courage me manqua pour lui adresser des remontrances.

Aussi bien n’en méritait-il point. Soupou obéissait à sa nature.

Notre manie, à nous autres Occidentaux, est de vouloir tout ramener aux catégories de notre entendement et aux habitudes d’une morale, héritée sans doute de nos ancêtres aryens, mais profondément déformée par nos mœurs elles-mêmes. Incapables de comprendre la mentalité des Hindous, nous nous étonnons que chaque transaction aboutisse à un malentendu. Soupou, quand il me promettait de partir avec moi pour Genji, ne s’engageait pas dans le temps, mais seulement dans l’espace, et dans cet espace se situait son engagement. Aller à Genji en ma société lui agréait, en principe, mais à cette condition que l’époque du voyage demeurât incertaine, à l’exemple de son désir. Que son avantage s’y trouvât de mettre à ma solde le personnel de son hôtel, Soupou n’en doutait pas. Sur cette combinaison s’arrêtait son plan politique. N’osant point me soumettre son plan particulier, il me l’avait exposé dans le général : « Nous partons tous ! » Ainsi, tel un chef qui laisse aux autres l’action pour se réserver la seule idée, Soupou poussait tout le monde en avant, et laissait partir la charge.

J’ajouterai que tout Hindou a en soi des parties de poète, grâce auxquelles il excelle dans la capacité de mentir avec une ingénue véracité. Soupou avait, au vrai, exprimé de bonne foi un vœu dont la réalisation, le moment venu, lui avait semblé téméraire.

Et ses dernières paroles, quand le train s’ébranla, contenaient la philosophie de la chose : « Que voulez-vous, monsieur, je suis trop vieux ! »

Je vis la petite silhouette du hou Dravidien coiffé de blanc trottiner sur le quai, se perdre dans la foule du dimanche, et je me sentis plein d’indulgence pour mon vieil ami Soupou Krichnassamy, ancien scribe à la Direction de l’Intérieur.

Quelques heures de route, un long arrêt à Villapouram, et le