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pluie qui manque depuis huit ans ; la terre demande de l’eau par toutes ses crevasses béantes, et l’homme meurt de faim parce que le grain ne peut pas lever.

Et, malgré cette disette de l’élément humide, la fièvre ne lâche pas son pays. Elle est toujours là, comme au beau temps des Mahrattes, où une garnison de quinze cents hommes durait trois mois. Je la sens voler dans le bruissement des moustiques. L’enveloppe de tulle, qui entoure tant bien que mal ma couchette boiteuse, ne me garantit guère des dangereux diptères, et mes hommes sont sans défense contre leurs piqûres.

La réputation séculaire de Genji comme insalubrité est en tous points méritée. Malgré la chaleur torride, qui ne descend guère au-dessous de 28° aux heures les plus fraîches de la nuit, je sens la moiteur profonde du sol me pénétrer, avec la rosée du crépuscule, et la dysenterie me cherche qui me mettra à bas pour des mois.

Des quatorze hommes que j’ai emmenés, deux m’ont quitté dès le second jour, les pions anglais ont obtenu leur congé ce matin et retournent à Villapouram. Ceux qui restent vivent dans l’espoir que je me découragerai avant peu, ou brûlent de fièvre dans un coin du portique, regrettant l’hôtel de Soupou où ils pouvaient dormir au frais dans l’attente improbable de besognes faciles.

Soupou avait peut-être prévu ces inconvéniens divers. Il m’a faussé compagnie au dernier moment.

Cette dernière trahison, pour être la plus récente, m’a été particulièrement sensible, et je vous la veux raconter.

Dès le milieu d’août, j’avais annoncé à mon ami Soupou, dans son caravansérail de Pondichéry, ma ferme intention de partir pour Genji : « Ce sera pour la fin du mois, Soupou ; veillez donc sur tout. Que les provisions soient l’assemblées, les hommes de renfort engagés, qu’on leur compte de petites avances et que, la veille du départ, tout mon monde se trouve logé sous votre toit ! » Soupou ne perdit pas un instant. Il commanda du pain séché au four, des boîtes de conserves et des sacs de riz, des articles d’épicerie, des pommes de terre et du café, que sais-je encore ? Comme gens de renfort, ceux-là mêmes de l’hôtel me suivraient. Le manque de cliens rendait la combinaison pratique.

A ma solde seraient désormais le cuisinier, le fendeur de bois, les garçons de salle, et peut-être aussi la Tanigartchi,