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rouges ; des blocs sculptés constituent son fourneau ; le reste du matériel s’étale parmi les décombres, sous l’œil des corneilles avides qui croassent sur le linteau lézardé. Ma table pliante se dresse à droite. La place qu’elle occupe indique que c’est la salle d’audience où je siège, exposé aux yeux de tous ceux qui passent. Et ma garde-robe, mes ustensiles, mes armes se suspendent à des éclats de bois fichés dans les interstices des parois de pierre.

Ma chambre à coucher est de toile. Je dors sous la tente plantée au milieu d’une petite cour rectangulaire qu’enclosent de doubles murailles réunies par des massifs en blocage. Les piliers monolithiques se dressent autour de ce réduit où le soleil tombant d’aplomb ou oblique échauffe les rocs grisâtres. La main ne peut s’y poser tant ils brûlent, et les plantes qui ont poussé entre les joints pendent en touffes grisâtres, n’ayant plus de la végétation que le nom. Quelques misérables enfans chassent devant eux des bœufs étiques et des chèvres aux mamelles plates, bêtes alertes et sauvages dont le poil sec, roussâtre et cendré est à l’image des herbes calcinées qui s’effritent dans les coulées de sable.

Au pâtre et à son chétif bétail les toits plats des péristyles tiennent lieu de route. Les troupeaux passent sur ma tête, des premières heures du matin aux dernières heures du soir. Puis les ruines appartiennent aux léopards, aux chacals, aux oiseaux de nuit. Leurs appels se croisent. Des chacals, la voix est la même que celle des enfans qui vagissent. Ils rôdent jusqu’autour de ma tente, et je les entends ronger des os.

Ainsi je retrouve mon Genji après vingt années d’absence. L’épouvantable sécheresse ne l’a pas assaini depuis cette époque, où je le visitai en hiver, alors que des pluies torrentielles avaient détruit ponts et chemins dans le Nord du South-Arcat. La basse plaine était inondée, la pagode hors de l’enceinte émergeait d’un lac, et les douves de la forteresse étaient remplies jusqu’aux bords. La rizière étendait son tapis de velours vert sur tout le pourtour. Et, dans les frondaisons masquant la nudité des remparts, les singes se jouaient par troupes, courant vers le bain, au lever du soleil.

Aujourd’hui on chercherait en vain une goutte d’eau en dehors des deux étangs intérieurs. Le fond des fossés est aussi sec et dur que la route poudreuse de Tirnamallé. Tout appelle la