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de la monarchie danoise, la patrie de la tsarewna ? N’est-ce donc rien que le vasselage de la reine Olga, le renversement et la spoliation de tant de familles régnantes, alliées par le sang à la maison de Romanov ? N’est-ce rien que la perte de l’indépendance de ces États secondaires, de tout temps si dévoués et si fidèles à la Russie ? N’est-ce rien enfin que tout ce profond bouleversement de l’ancien équilibre européen, et l’agrandissement démesuré, gigantesque, d’une puissance limitrophe ?… Quant aux espérances en Orient, elles sont bien aléatoires, comme toute spéculation d’héritage. Le malade a tant de fois déjà trompé l’attente de ses médecins… Ce qui n’est pas douteux par contre, c’est qu’à l’heure du destin, la Prusse posera ses conditions et stipulera ses compensations. Ce n’est pas une dette de reconnaissance dont elle songera à s’acquitter, c’est un nouveau marché qu’elle entendra établir… »

Et alors Klaczko écrit une nouvelle et superbe page sur cette race redoutable des vainqueurs de Sadowa et de Sedan, dont l’esprit envahisseur et conquérant survit à toutes les transformations et s’accommode de tous les déguisemens, s’enivre des grands coups de fortune de 1866 et de 1870 et s’imagine qu’on doit lui attribuer ce vers fameux, légèrement modifié :


Tu regere imperio populos, Germane, memento !


A l’époque où Klaczko terminait son livre, Alexandre III, dans un toast au banquet de Saint-Georges, le 12 décembre 1875, s’écriait : « Je suis heureux de pouvoir constater que l’alliance intime, entre nos trois Empires et nos trois armées, existe intacte à l’heure qu’il est. » Et l’auteur des Deux Chanceliers répondait, avec son ironie pénétrante : « L’avenir seul pourra dévoiler la portée et la vertu de cette alliance des trois Empires tant prônée et aussi mal connue que mal conçue peut-être ; mais on ne se trompera guère en supposant que dans ce ménage, double et trouble, c’est M. de Bismarck qui peut s’estimer le plus heureux des trois ! » Bismarck, ce génie si original, il est permis de dire que, le premier de tous, Klaczko en a gravé une puissante eau-forte. Certes, celui du chancelier russe est d’une fidélité scrupuleuse. Sa physionomie grave et correcte, son urbanité exquise, son allure noble et digne, sa tenue foncièrement aristocratique, ses prétentions à l’esprit, à la grâce et à la finesse,