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du Rhin des questions dans lesquelles l’Europe, la France surtout, ne pourront guère longtemps garder une neutralité tantôt affligée, tantôt réjouie, mais toujours énigmatique. Les intérêts les plus directs commencent à être engagés dans le conflit austro-prussien. A vrai dire, c’est cette neutralité de la France qui fait tout le nœud de la complication et tient en suspens jusqu’au jugement qu’on pourrait se former sur les hommes et les choses. » Et alors il se demande si M. de Bismarck n’est qu’un aventurier audacieux qui place follement son pays devant un nouvel Iéna ou un nouvel Olmütz. Mais non. Il découvre en lui un Cavour poméranien qui pourra faire figure dans le monde des grands esprits politiques et peut-être arriver à ses fins, s’il possède réellement le talisman que le ministre de Victor-Emmanuel avait su remporter d’une certaine entrevue, et si Biarritz est, en effet, le pendant de Plombières. Klaczko devinait que Napoléon III avait laissé au comte de Bismarck ses coudées franches pour assaillir l’Autriche et en venir à bout, espérant que dans cette lutte les deux puissances s’affaibliraient mutuellement et lui permettraient de rester à la fin le seul maître de la situation.

On sait de quelle façon cruelle les prévisions de Napoléon III furent déçues et comment, en quelques semaines, l’Autriche perdit la Vénétie et sa prépondérance en Allemagne.

Dans une étude saisissante sur les Préliminaires de Sadowa[1] Klaczko montra que la conquête des duchés, faite en commun par l’Autriche et la Prusse, allait amener dans un prochain avenir la discorde entre les deux ravisseurs. La Prusse sentait qu’elle avait le besoin de se reconstituer solidement. Elle manquait de ventre du côté de Cassel et elle avait l’épaule démise du côté du Hanovre. Mieux configurée, elle aurait la liberté de ses mouvemens et de ses alliances. C’est ce que disait avec esprit M. de Bismarck, toujours en verve, se moquant des respectables perruques de la Chambre des Seigneurs et ne cessant de répéter : « Je sais bien ce que je ferais… malheureusement mon roi est trop honnête ! » Le chancelier avait fait de la dissimulation ou de la sincérité un art prodigieux. « Cet homme de génie, écrivait Klaczko, sut donner à la franchise même toutes les vertus politiques de la fourberie. Et cependant, cette franchise l’a toujours mieux servi que le plus artificieux des stratagèmes. » On le

  1. Voyez la Revue des 15 septembre et 1er octobre 1868.