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la France et l’Angleterre, et de l’inertie des autres puissances. Il complète le portrait de ce ministre hardi qui poussa la résolution jusqu’aux dernières limites, associant à sa campagne cynique l’Autriche elle-même, quitte à la briser après l’avoir déshonorée. Il nous montre les Allemands présomptueux et jaloux, expansifs et tenaces, pratiquant avec persistance leur ancien proverbe : Ubi bene, ibi patria ; et gardant néanmoins toujours un âpre attachement à la mère patrie ; s’infiltrant en tout pays, ne dédaignant aucun coin de la terre habitable, ayant leurs familiers et consanguins sur tous les trônes et dans tous les comptoirs du monde, peuplant les centres industriels de l’Europe et les nouveaux territoires des Etats-Unis, expropriant la Pologne et la Hongrie, administrant la Grèce, fournissant le plus fort contingent de l’administration de l’Empire des tsars, propageant partout leur influence et cherchant à prédominer partout.

On sait par quels moyens M. de Bismarck dépouilla le Danemark de ses duchés, ce qui fit dire à Klaczko : « Etant donné les prétentions allemandes, nous ne voyons pas, en conscience, les raisons que pourraient faire valoir les Néerlandais pour ne pas subir le sort des Frisons du Slesvig, pour échapper un jour à l’honneur de former, eux aussi, un Etat-amiral de la grande Confédération. » Ces prétentions de la Prusse auxquelles Mgr de Ketteler attribuait en 1866 le nom de « borussianisme ; » en ont pris depuis un plus significatif encore : « le pangermanisme. » Klaczko en indiquait déjà les tendances par ces lignes humoristiques : « Il a été donné au ministre de la philosophique et transcendante Prusse de trouver de la sorte un pendant au célèbre axiome de Descartes par ces mots : Je dépouille, donc je suis. » Et il se demandait avec une amertume bien justifiée : « Que devient alors la belle devise de Frédéric le Grand : Suum cuique ? »

Le portrait que trace Klaczko de l’Europe, en février 1861, est aussi douloureux que vrai : la Prusse et l’Autriche attaquant ensemble une petite et glorieuse monarchie sous le plus futile prétexte, lui arrachant d’abord une province fédérale « pour faire mieux reconnaître la souveraineté de son roi ; » saisissant ensuite une autre province comme gage, puis allant en envahir une troisième « pour avoir le gage de leur gage, » tandis que la France gardait une expectative mystérieuse, que la Suède se taisait et que la Russie, maintenue par la solidarité que