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quelle est encore cette patrie ? — Tout pays où résonne la langue allemande. » Bis an die Weichsel wird germanisirt !… Klaczko s’est attaché particulièrement à cet homme extraordinaire, à ce grand politique, à ce diplomate terrible, issu de la Marche de Brandebourg, qui, sortant du sol où la monarchie prussienne avait été bâtie et cimentée par le sang de ses pères, avait rêvé pour elle la domination de l’Allemagne tout entière et peut-être du monde. Klaczko en fait l’objet incessant de ses observations ; il sait qu’il a devant lui l’ennemi acharné des faibles, de la Pologne et du Danemark, l’adversaire audacieux des forts comme la Russie, l’Autriche, l’Angleterre et la France. Il devine, il annonce ses ambitions. Il prédit que l’Europe les laissera se réaliser au détriment même de son équilibre et de ses intérêts vitaux. Les études de Klaczko sur la diplomatie contemporaine avaient été remarquées par les hommes compétens, mais plus particulièrement par M. de Bismarck. « Il était un homme, dit Tarnowski, qui l’avait compris mieux que personne et pour lequel ce fut comme un fer rouge appliqué sur la chair ; cet homme était M. de Bismarck. Pour la première fois, peut-être la seule de sa vie, il se vit dévoilé jusqu’au fond de l’être et dénoncé au monde entier. Dans ses lettres et dans ses Souvenirs, le nom de Klaczko revient plusieurs fois avec une haine passionnée et un ardent désir de vengeance. Cette haine était d’autant plus grande qu’il était sans moyen pour se venger et que cela l’humiliait profondément. Tout-puissant en Europe, il ne pouvait rien contre les accusations de Klaczko. Bismarck n’était pas en état de se démentir lui-même, de se donner pour tout autre qu’il n’était en réalité ; de là sa rage contre Klaczko… Au plus fort de ses succès dans la guerre franco-allemande, à Versailles, il ne pouvait oublier Klaczko. Il le poursuivait encore de sa haine. Eprouvait-il quelque ennui, lui arrivait-il quelque chose contre sa volonté, c’était la faute de Klaczko ; c’étaient les critiques de Klaczko. Il le détestait, il l’exécrait, car c’était encore une fois le seul qui, parmi ses contemporains, l’eût percé à jour. »

S’attachant de plus en plus aux études diplomatiques par lesquelles il voulait faire justement apprécier les vicissitudes de la politique contemporaine et les mécomptes du passé, Klaczko disait, au lendemain des graves complications qui signalèrent les années 1863 et 1864 : « Nous sommes loin à cette heure des perspectives que semblait ouvrir à la justice et au droit la guerre