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savoir le français. Je visitais l’été dernier l’université de Cambridge en compagnie de quelques collègues de l’Institut international de sociologie. Une dame française, mariée à un illustre professeur du Trinity Collège, avait bien voulu nous servir de guide. Elle me dit entre autres choses : « Quand vous faites la connaissance d’un membre de notre enseignement, adressez-lui d’abord la parole en français, si vous voulez passer pour un homme bien élevé. » Le français est encore parlé très généralement dans tous les salons aristocratiques de l’Europe, et chacun de ces salons est un foyer de diffusion pour cette langue.

Ainsi donc, le français progresse constamment et par les classes supérieures, et par la bourgeoisie, et par les classes inférieures. Cet envahissement et ces triomphes confirment précisément la thèse que je soutiens : à savoir que, grâce à un nombre très considérable de facteurs favorables, le français devient naturellement, de préférence à tout autre idiome, la langue auxiliaire du groupe de civilisation européen.


V. — CONCLUSION

Les Germains, les Latins et les Slaves ont plus de penchant pour le français que pour l’anglais, les Anglo-Saxons plus de penchant pour le français que pour l’allemand. Par suite de cette circonstance, c’est le français qui a le plus de chances de devenir la langue auxiliaire du groupe européen. Telles sont les conjonctures actuelles. Seront-elles les mêmes dans quatre ou cinq siècles ? Assurément personne ne peut le dire, mais, en fait, à quoi sert-il de s’en préoccuper ? Il est vain de vouloir faire des prophéties pour des époques éloignées. Il pourrait arriver sans doute que l’anglais fût adopté comme langue auxiliaire par toute la population de l’Inde et de la Chine : alors il pèserait d’un poids si lourd dans l’économie du monde qu’il l’emporterait sur tout autre idiome. Mais cela peut aussi ne pas arriver. Dans tous les cas, cela n’arrivera pas de sitôt. Pour amener les foules indiennes et chinoises à s’amalgamer à la culture européenne, il faudra un temps très long. Pendant cette période, rien n’empêche le français de continuer ses progrès dans le groupe européen jusqu’à le conquérir entièrement comme langue auxiliaire.

Parce que, dans quatre ou cinq siècles, des conjonctures historiques, complètement nouvelles, peuvent devenir plus