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le français, il peut bien y en avoir de nos jours un sur 100, — je donne, bien entendu, des chiffres hypothétiques. — Seulement, parmi ces 400, il y en a beaucoup qui, étant dans la bourgeoisie, sont moins en évidence. Ainsi le français peut avoir fait de nouvelles conquêtes dans un pays et il peut avoir avancé, en réalité, bien qu’en apparence il semble avoir reculé.

Je ferai remarquer, de plus, que la poussée du français est devenue plus générale de notre temps par suite d’une catégorie spéciale d’individus : ceux qui ont affaire aux voyageurs et aux touristes. On sait quelle extension ont pris les déplacemens au XIXe siècle. Et nous ne sommes encore qu’aux débuts. Bientôt, au contingent fourni par les chemins de fer et les bateaux à vapeur, — qui augmente à mesure que se perfectionnent ces services, — s’ajoutera un contingent nouveau, qui paraît devoir devenir encore plus grand, celui des automobiles. Pour servir ces voyageurs, la connaissance du français s’impose. Cette nouvelle série démocratique des cliens du français n’est nullement à dédaigner, car elle possède une très grande force de propagande. A un autre point de vue encore, la démocratisation des sociétés favorise l’extension de la langue française. Elle est enseignée d’office dans toutes les institutions d’instruction moyenne de San Francisco à Vladivostock. Or, plus la poussée démocratique s’accentuera, plus grand sera le nombre des enfans qui acquerront l’instruction moyenne. Ce qui était accessible, il y a un siècle, à quelques privilégiés des hautes classes va être bientôt à la portée de toute la bourgeoisie, et désormais, la diffusion de l’instruction moyenne et de l’instruction supérieure répandra la connaissance du français. Assurément, bien peu nombreux sont les professeurs qui, soit en Russie, soit en Allemagne, en Angleterre, ou en Italie, ne se croient pas obligés de connaître le français.

La société européenne est de nos jours beaucoup plus démocratisée qu’en 1760. Aussi le nombre des Européens qui savent maintenant le français est proportionnellement plus considérable qu’il ne l’était sous Louis XV.

En réalité, le prestige du français est encore très grand à notre époque. La plupart des Européens se montrent offensés si, dans une réunion internationale, on les suppose ignorer cette langue. On peut être un homme du monde accompli, au XXe siècle, sans savoir l’anglais et l’allemand ; on ne peut pas l’être sans