Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/586

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont très connus. Personne n’ignore que, vers 1760, le français était la langue presque uniquement employée par la haute société dans toute l’Europe, sauf en Angleterre.

Je me permettrai d’ajouter seulement quelques traits se rapportant à notre époque. En voici un d’abord concernant la Roumanie : « L’influence du français sur la classe cultivée des Roumains, dit M. Xénopol[1], est encore tellement puissante qu’elle met en danger la culture nationale. Partout, dans les salons, à la promenade, dans les magasins, on n’entend résonner que la langue française, et très souvent avec l’accent, la prononciation et le ton de phrase parisiens. Les femmes écrivent presque toujours leurs lettres en français ; les livres français, littérature et science, comblent les vitrines des libraires qui se plaignent que les livres roumains ne sont pas demandés. » Le même auteur dit encore dans un autre article : « La haute société sans distinction de partis politiques, les descendans des boyards comme les bourgeois enrichis, n’emploient, comme langue de conversation, que le français… C’est seulement dans la vie publique qu’ils sont forcés de parler le roumain. Il y a bon nombre de députés qui ne le savent pas et qui le parlent abominablement… S’il arrive dans un salon que quelqu’un ne sache pas le français, c’en est fait de lui. Les moindres fautes de français sont notées et soulignées par des sourires et suffisent pour ranger l’individu, fût-il un puits de science, parmi les ignorans. Jamais une femme n’écrira une lettre en roumain. Jamais un jeune homme n’osera faire sa cour à une jeune fille ou à une jeune femme en roumain. Il s’exposerait au ridicule[2]. »

Ce dernier trait est particulièrement remarquable. Je le demande : y a-t-il un seul pays au monde où un jeune homme de la bonne société s’exposerait au ridicule parce qu’il ne saurait pas faire sa cour à une femme en anglais ou en allemand ?

À Constantinople, c’est presque la même chose qu’à Bucarest : « Vous y trouverez, dit un correspondant de l’Italia al estero[3], des Italiens qui vous disent grand bien de l’Italie, qui, par gloriole, déploient, quand vous allez chez eux, le drapeau blanc, rouge et vert. Par malheur, ils ne connaissent pas la langue italienne. Si leur drapeau avait une voix, il parlerait, hélas ! le

  1. Courrier européen du 16 février 1906.
  2. Courrier européen du 6 avril 1906.
  3. Numéro du 1er février 1907.