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français. Il n’y en a que deux de vraiment sérieux, l’allemand et l’anglais. Ni l’italien, ni l’espagnol, ni le russe n’ont aucune probabilité de devenir la langue auxiliaire de l’Europe. L’italien tenait presque la primauté au XVIe siècle. Diverses circonstances arrêtèrent son essor. Aujourd’hui la partie semble perdue pour lui. Il y a 36 millions d’Italiens dans le monde. Les Français ne sont pas beaucoup plus nombreux, comme population agglomérée, mais, au point de vue de la diffusion sporadique de leur langue, ils ont pris une avance que l’italien ne pourra plus rattraper.

L’allemand paraît avoir également des chances assez faibles. Certes, sa position est très centrale et, partant, au point de vue géographique, très avantageuse. Mais d’abord, c’est un idiome synthétique, donc relativement imparfait, et très difficile à apprendre. Cependant, l’obstacle principal est ailleurs. L’allemand aura contre lui la coalition des Anglo-Saxons (140 millions), des Latins (175 millions en Europe et en Amérique), et des Slaves (140 millions). Comme les Allemands sont seulement 85 millions, ils seront un contre cinq, c’est-à-dire en très grande minorité. Les Slaves, les Anglo-Saxons et les Latins préfèrent de beaucoup le français comme langue auxiliaire, et c’est naturel ; mais, chose curieuse, les Allemands aussi. Un professeur de Munich, M. H. Molenaar, vient de composer une nouvelle langue artificielle, l’universal. Il prend comme base le vocabulaire français, — ou latin si l’on veut. — Il déclare lui-même que le vocabulaire allemand n’a pas la moindre chance de devenir international.

Passons à l’anglais. Cet idiome aura aussi contre lui les Latins (175 millions) et les Slaves (140 millions). Cela fera déjà 315 millions contre 140. Mais il y a beaucoup de probabilités pour que les Germains eux-mêmes soient plus attirés par le français que par l’anglais. A la cour de Vienne, on parle encore la langue de Voltaire, on n’y a jamais parlé celle de Shakspeare. Ajoutez les 85 millions de Germains aux 315 millions de Latins et de Slaves, vous aurez un bloc de 500 millions d’hommes en faveur du français. Il faut ajouter encore certaines petites nations comme les Grecs (environ 5 millions), et les Magyars (environ 8 millions). Considérez de plus que la colonisation latine en est à ses débuts. La République Argentine a 5 millions d’habitans : elle pourrait en avoir facilement 200 millions.