au ministère, car il avait la majorité à la Chambre, et une majorité écrasante. Au point de vue constitutionnel, il ne pouvait être congédié, et il était impossible de prévoir qu’alors que tout était tranquille, le pays prospère et heureux, les lois et la liberté respectées, le gouvernement fort, une révolution, et une pareille révolution serait provoquée par quelques paroles imprudentes et par la résistance (quelque regrettable qu’elle fût) à une manifestation que le gouvernement, en fait, avait le droit d’empêcher. Ce fut la volonté du Tout-Puissant ; nous devons nous soumettre. Il avait décrété notre perte, le jour où il rappela de ce monde mon bien-aimé frère[1]. S’il vivait encore, tout ceci se serait terminé autrement. Ce fut aussi un immense malheur que Joinville et Aumale fussent absens. Ils étaient tous deux populaires (ce que l’excellent, le cher, le respectable[2] Nemours n’était pas), énergiques, courageux et capables de faire tourner la chance en notre faveur. Combien il me tarde de savoir ce qu’ils sont devenus ! Je ne vivrai pas jusque-là et la pensée de mes malheureux parens m’anéantit ! Le pauvre et cher Joinville avait prévu et prédit presque tout ce qui est arrivé et s’il était si malheureux de partir, c’est qu’il songeait à la crise qu’il redoutait. Il me le répéta plusieurs fois il y a six semaines. Hélas ! personne ne voulait le croire, et qui aurait pu croire qu’en un seul jour, presque sans lutte, tout serait détruit, le passé, le présent, l’avenir balayés par une inconcevable tempête ! Que la volonté de Dieu soit faite ! Il fut du moins miséricordieux pour ma pauvre tante, et j’espère qu’il préservera tous ceux qui me sont chers !
Ici tout est tranquille : l’horreur est générale ; on témoigne de bons sentimens et d’un excellent état d’esprit ; jusqu’à présent il n’y a rien à craindre, mais si réellement la République est proclamée en France, il est impossible de dire ce qui peut arriver. Pour cette raison, votre oncle pense qu’il serait bon de mettre en lieu sûr ce que nous avons de précieux. Si vous le permettez, je profiterai des différens courriers qui circulent maintenant, pour mettre sous votre protection plusieurs boîtes que vous aurez l’amabilité d’expédier à Clarement, à Moor, qui les conservera ainsi que celles que votre oncle a déjà envoyées.