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D’autre part, la population de la Toscane n’a pas augmenté plus vite que celles de beaucoup d’autres régions de l’Italie. Il ne s’est pas produit un cas analogue à celui qui s’observe entre la France et l’Angleterre. En 1800, les anglophones étaient 21 millions dans le monde, les francophones 25. Aujourd’hui, les premiers sont 140 millions, les seconds 46. S’il s’était passé quelque chose de semblable en Italie, si la population de la Toscane s’était accrue dans la proportion de un à sept, tandis que le reste des Italiens se seraient seulement accrus dans la proportion de un à deux, alors on aurait compris la prédominance du dialecte florentin. Mais il n’est rien arrivé de pareil. Les Toscans ne se sont pas accrus en proportion plus forte que les Piémontais ou les Napolitains, et les Toscans forment encore une minorité dans la péninsule apennine comme ils la formaient au XIVe siècle. Ce n’est donc pas par une évolution démographique, par une plus forte natalité, par un plus grand excédent des naissances sur les décès, que le toscan est devenu la langue auxiliaire de l’Italie.

Ce n’est pas non plus par suite de causes politiques. La Toscane n’a jamais dominé politiquement l’Italie. Elle n’a même jamais essayé de la dominer. Rome a unifié une première fois l’antique Ausonie. Puis, au moyen âge, les Lombards, dont la capitale était Pavie, et, plus tard, les Visconti et les Sforza, dont la capitale était Milan, ont essayé d’étendre leur pouvoir sur toute l’Italie. Pareille entreprise n’a même pas été rêvée par la république de Florence et par les grands-ducs de Toscane. La Toscane n’ayant été à aucun moment le plus puissant État de l’Italie, ce n’est certainement pas par suite de facteurs politiques que son dialecte s’est imposé dans la péninsule.

Comme le parisien est devenu l’idiome national de la France et que Paris a été le centre du groupement politique de ce pays, nombre de personnes ne peuvent pas se débarrasser de l’idée que la formation de la langue nationale est un phénomène d’ordre politique et uniquement politique. On croit qu’il suffit à une dynastie de conquérir un ensemble de territoires pour que la langue des conquérans soit adoptée par les populations conquises. C’est une profonde erreur. Le regard le plus superficiel sur ce qui se passe dans le monde peut en convaincre. La dynastie des Habsbourgs a fondé un grand État comme la dynastie Capétienne ; mais les sujets des Habsbourgs ne sont pas tous devenus Allemands. La dynastie d’Othman a fondé un immense