Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/574

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les procédés artificiels est contraire aux lois de la nature et, par conséquent, à jamais irréalisable. La langue artificielle est une des nombreuses aberrations de l’esprit humain, comme la quadrature du cercle, l’astrologie, la phrénologie et l’alchimie. Par cette voie, on n’atteindra jamais le résultat désiré. Il faut s’adresser à une langue vivante.


III. — FORMATION NATURELLE DES LANGUES INTERNATIONALES

Arrivons maintenant au sujet de cet article II a pour but de démontrer que le français a plus de chance que tout autre idiome de devenir la langue internationale auxiliaire du groupe de civilisation européen.

Pour saisir comment cela pourra arriver, il faut étudier le mécanisme de la formation des langues internationales.

Elles se créent sans trêve et sans arrêt par un processus naturel qui, bien que parfois imperceptible et inconscient, n’en poursuit pas moins sa marche ininterrompue à toutes les échelles. Des villages dispersés adoptent le parler d’une petite ville plus ou moins centrale ; des agglomérations urbaines inférieures adoptent le parler d’une agglomération plus importante, et ainsi de suite. Et quelle que soit l’échelle, le processus reste le même. Il suffit d’examiner comment certains dialectes locaux sont devenus les langues littéraires des grandes nations modernes pour se représenter comment le français pourra devenir la langue internationale de l’Europe. En vertu de la loi de la répétition amplifiante, exposée d’une façon si magistrale par le regretté Gabriel Tarde, le phénomène plus grand reproduit très exactement les phases du phénomène plus petit.

Prenons l’Italie comme exemple.

Vers le XIIe siècle de notre ère, de nombreux dialectes, issus du latin, étaient parlés dans ce pays. Tous avaient une antiquité égale et provenaient d’une souche commune ; mais ils s’étaient différenciés de plus en plus, en sorte qu’on cessait de se comprendre d’une extrémité à l’autre de la péninsule apennine.

Au XIIIe siècle, Florence commença à faire des progrès rapides dans l’industrie, le commerce, les arts, les sciences et la littérature. Coup sur coup, il naquit en Toscane une série de grands poètes et de grands prosateurs, qui écrivirent des ouvrages remarquables dans le dialecte du pays. Tels furent Dante,