- Aeneadum genetrix, hominum divumque voluptas,
- Alma Venus, coeli subter labentia signa
- Quae mare navigerum, quae terras frugiferentis
- Concelebras, per te quoniam genus animatum
- Concipitur visitque exortum lumina solis.
nous sommes soulevés par la magnificence et l’ampleur de ces vers. C’est que nous sentons palpiter dans notre âme celle des générations disparues qui ont créé ces assonances merveilleuses. De pareilles impressions seraient-elles possibles avec un langage sec et mathématique inventé d’hier par quelque philologue ou quelque médecin ? La jouissance que donnent les langues naturelles est d’une importance de tout premier ordre. Même si un idiome artificiel était adopté par l’ensemble de l’humanité, cela ne dispenserait pas d’apprendre le français afin de lire les nombreux chefs-d’œuvre de sa littérature.
Je ne conteste pas qu’une langue artificielle ne puisse être adoptée par des individus occupés à des métiers spéciaux. Un accord entre tous les négocians du monde pour faire leur correspondance en universal ou en néo-latin serait possible à la rigueur. Des arrangemens de ce genre ont déjà réussi : certains codes télégraphiques sont adoptés sur le globe entier. Mais, entre ce phénomène et une langue auxiliaire internationale, il y a un abîme. Une langue ne doit pas être seulement écrite, elle doit être parlée. Le toscan est parlé par les Vénitiens, les Piémontais et les Napolitains. Jamais, au grand jamais, on ne pourra arriver à l’éloquence, à la brillante conversation des salons et au marivaudage fin et spirituel dans une langue artificielle : or, ce sont précisément ces fruits exquis, l’éloquence et la conversation, qui ont le plus de prise sur les hommes. Ce sont eux qui poussent le plus à l’adoption d’une langue auxiliaire. Notez qu’on peut apprendre une langue vivante à la perfection, — comme Bismarck apprit le français, — parce qu’on peut séjourner dans le pays où elle se parle, ou parce qu’on peut se la faire enseigner dès l’enfance par une bonne ou par un instituteur : mais est-il possible d’aller dans le pays de l’espéranto ou de trouver une gouvernante capable de l’enseigner à un petit garçon ou une petite fille ? La connaissance parfaite du français est, dans beaucoup de pays, un signe de bonne éducation : aussi, dans un grand nombre de familles, le fait-on apprendre aux enfans par des procédés oraux. Comme pareille chose sera