Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/560

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obstacle à la formation d’une fédération de notre continent qui ferait faire un bond prodigieux à la civilisation du monde entier.

La liberté non plus n’est jamais sortie des forêts de la Germanie. À Rome et à Constantinople, la royauté a toujours été une magistrature. Jusqu’aux derniers temps de l’Empire byzantin, l’empereur a été élu par le Sénat. Ce sont les Germains qui ont apporté en Europe l’idée que l’État est la propriété privée du souverain, que celui-ci doit partager l’État entre ses fils, qu’il peut en donner des parties en dot à sa fille. Cette conception anti-sociale de l’État a été la source des plus horribles abus, de la plus démoralisante oppression. Certains princes allemands, au XVIIIe siècle, sont allés jusqu’à vendre leurs sujets comme soldats aux puissances étrangères. Ce n’est donc pas la liberté, mais bien le despotisme qui est sorti des forêts de la Germanie. Et à l’heure actuelle, pendant que les Anglais, les Français et les Italiens ont des ministères dépendans de la représentation nationale, seuls les Allemands n’ont aucune possibilité d’agir efficacement sur la politique de leur pays. Le Kaiser la dirige en maître. Les Allemands n’ont donc pas encore conquis la liberté pour eux-mêmes. L’Allemagne vit en pleine autocratie, sous les apparences trompeuses d’une constitution et, ce qu’il y a de plus singulier, c’est qu’elle semble se complaire à cet état de choses.

Assurément Gobineau a raison, les races humaines sont inégales. Mais c’est dans un sens complètement différent de celui qu’il croit. L’expression inégalité des « races » humaines est impropre : c’est inégalité des sociétés humaines qu’il faut dire. La race est, en grande partie, une conception abstraite et subjective qui ne correspond pas à la réalité des faits. Il n’y a plus une seule société humaine, depuis de longs siècles, qui soit composée d’une race unique. Les collectivités qui se sont trouvées dans des conjonctures plus favorables ont avancé vite ; celles qui se sont trouvées dans des conjonctures moins favorables ont avancé lentement. Il serait ridicule de prétendre que, de nos jours, la société tunisienne soit l’égale de la société française ; mais cela ne provient pas des facultés congénitales des Berbères et des Celtes ; cela provient d’un vaste ensemble de circonstances historiques. Il fut un temps où la société tunisienne, l’antique Carthage, était civilisée et la société gauloise barbare. Au fond, la race a peu changé en France et en Afrique : dans les deux pays, la base de la population est restée la même. La supériorité