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intérêt aurait pu le pousser à se charger de cette triste et dégoûtante besogne qui consistait à assassiner un mourant, uniquement pour mieux assurer la couronne sur la tête de son frère, et à devancer de quelques jours peut-être l’œuvre de la maladie et du désespoir. Là où Richard n’a d’autres accusateurs que la rumeur populaire, si prompte à accueillir ces histoires de crime, et des chroniques mensongères, j’hésite à le croire coupable. Sur ce chef, je lui accorderais le bénéfice du doute, et j’adopterais la formule du verdict écossais, not proven, que je préfère, dans bien des cas, soit à l’équivoque lâcheté de nos circonstances atténuantes, soit à l’impitoyable alternative du guilty or not guilty.

En ce qui touche la mort de Clarence, les deux historiens sont d’accord pour exonérer Richard de tout soupçon. Au surplus, les remords qui attristèrent, à ce sujet, les derniers jours d’Edouard IV indiquent assez où il faut placer la responsabilité. Toutes les fois qu’on le sollicitait de pardonner à un adversaire ou à un coupable, il s’écriait douloureusement : « Dire qu’il ne s’est trouvé personne pour m’implorer en faveur de mon frère ! » Il est certain que Richard ne prit point part à la procédure qui mit le duc de Clarence hors la loi, et qu’il protesta ainsi contre cet acte par son attitude. Mais il s’inclina devant le fait accompli. Il fit plus et accepta, sans se faire prier, les dépouilles du mort. Si l’on veut être tout à fait juste, il est bon de se rappeler que ce Clarence était un fieffé conspirateur. Il était entré dans une ligue avec les ennemis de la maison d’York ; et, après avoir reçu son pardon, il recommençait à comploter. Dans un temps où la trahison politique était réputée le plus grand des crimes, après l’hérésie et la sorcellerie, il avait parfaitement mérité son supplice.

De tout ce qui précède, il résulte que, si l’on veut bien considérer avec moi comme très douteuse sa participation directe à la mort de Henry VI, Richard, duc de Gloucester, à la mort d’Edouard IV, nous apparaîtra sous un aspect tout différent de celui que lui prêtait la légende. C’est un homme de trente ans, dont l’extérieur n’a rien de désagréable et qui a donné des preuves d’intelligence et de courage en gouvernant les provinces du Nord et en les défendant contre l’invasion. Il a vécu, semble-t-il, en harmonie et en paix avec sa jeune femme dans son château de Middleham où un enfant leur est né. Mais, à la