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s’entendre là-dessus, j’ai le droit de conclure, avec M. Gairdner et sir Cléments, que cette prétendue difformité n’est pas visible.

Le monstre moral est-il plus vrai que le monstre physique ? De bonne heure, nous voyons paraître, chez Richard, des qualités qui nous le rendraient plutôt sympathique. Il est brave et déploie, sur le champ de bataille, certains dons militaires, par exemple à Barnet où il commande une partie de l’armée et, plus tard, dans la campagne contre les Écossais où il reconquiert Berwick, la clef de l’Angleterre au Nord-Est. Il est bon patriote et se tient à l’écart de cette paix honteuse que négocie Edouard IV avec Louis XI et qui indigne les partisans de l’honneur national, les vétérans de la grande guerre. Son mariage avec Anne Warwick ne ressemble guère à cette tragique scène d’hypnotisme que nous avons trouvée tout à l’heure dans Shakspeare. Il a, au contraire, une petite teinte idyllique et romanesque. Anne connaît Richard depuis son enfance. Ils ont grandi ensemble, joué peut-être au petit mari et à la petite femme. Elle n’est point veuve du prince Edouard de Lancastre auquel elle a été vaguement fiancée, à quatorze ans, pour des motifs politiques qui lui sont profondément indifférens. Elle est toute prête à épouser Richard. Mais le duc de Clarence, qui a épousé la sœur aînée et prétend garder toute la fortune de la famille dans ses mains, s’oppose à leur union. Elle s’échappe, déguisée en fille de cuisine, et rejoint Richard qui l’enlève et l’épouse. Pourquoi ne l’aurait-elle pas aimé ? On vient de voir qu’il n’avait rien de déplaisant. Quant à ces trois spectres qui se dressent entre eux dans Shakspeare, l’histoire va les chasser, comme le chant du coq met en fuite les fantômes. Richard est innocent de la mort de Warwick qui est tombé en combattant les armes à la main. Tel fut aussi, probablement, le sort du jeune Edouard de Lancastre, à la bataille de Tewkesbury. Un chroniqueur, il est vrai, prétend qu’il fut mis à mort, de sang-froid, après la fin du combat. La chose n’est pas impossible ; elle s’était vue plus d’une fois dans ces guerres, et les Lancastriens avaient dépassé les Yorkistes en férocité. Rutland, tué sur le pont de Wakefield au moment de la déroute, était plus jeune que le prince Edouard » lequel avait dix-huit ans, un an de moins, seulement, que Richard. On nous parle de sa beauté délicate, presque féminine, de ses cheveux blonds dont les boucles s’échappèrent de son casque en ruisselant sur ses épaules au moment où il reçut la