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devenir l’unique moyen de connaître et de juger le vaincu de Bosworth. Les chroniqueurs ne feront que broder sur ce thème. Le peuple y ajoutera certains traits propres à entourer Richard d’une horreur concrète, si je puis dire, qui traduira pour les yeux, par des difformités visibles, sa nature satanique. Après s’être attardé deux ans dans le ventre de sa mère, il est venu au monde avec des dents. Il est hideusement contrefait ; une de ses épaules s’élève sur son dos comme une montagne. Sous de telles apparences, il n’a plus rien d’humain, ni de chrétien ; il est presque aussi effrayant que son maître, l’ange des Ténèbres. On sait quelle campagne de diffamation systématique par l’histoire, par la caricature, par la presse, fut menée, après 1815, contre « l’ogre de Corse. » Cette tentative ne pouvait réussir, parce que, au XIXe siècle, la vérité devait se faire jour et l’esprit de justice historique ne pouvait manquer d’avoir sa revanche. D’ailleurs, sans parler des institutions durables, créées par son génie, Napoléon laissait derrière lui, dans l’âme populaire, un défenseur irréductible, et dans sa chute extraordinaire, dans son agonie lointaine, une poésie douloureuse qui le grandissait encore. La légende artificielle, payée par le gouvernement, ne tint pas devant la légende qui était sortie des veillées du village. Mais, au XVe siècle, il n’y avait ni critique historique, ni esprit public. Aucune des forces qui servaient la gloire de Napoléon ne travaillait à la justification de Richard III. Pendant les cent vingt ans, — ou peu s’en faut, — que dura le règne des Tudors, pas une voix ne s’éleva en sa faveur, et il dut sembler aux hommes de la fin du XVIe siècle que la condamnation était définitive et sans appel.

Environ quinze ans après la mort de Richard, Tyrrell, sur le point d’être exécuté pour un acte, réel ou imaginaire, de trahison envers Henry VII, s’accusa d’avoir présidé au meurtre des enfans d’Edouard, sur les ordres reçus de leur oncle. Authentique ou non, volontaire ou non, sincère ou non, cette confession servait admirablement les intérêts de Henry VII. Car elle détruisait les dernières illusions que quelques Anglais pouvaient garder au sujet de Perkins Warbock, l’imposteur qui avait joué le rôle du plus jeune des fils d’Edouard IV et, en même temps, elle établissait à la charge de Richard III le crime odieux dont le soupçon pesait sur lui depuis si longtemps. Henry VII donna donc toute la publicité possible à la confession de Tyrrell. Il