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complications. Albert vous a raconté tout ce qui se passa entre la chère Reine et moi, et sur quel terrain absurde les Français se placent. Les détails de l’histoire sont très malpropres, — et je suis peinée de dire que le bon Roi, etc., s’est conduit d’une façon singulièrement peu honnête.

Nous avons protesté, et avons l’intention de protester très énergiquement contre le mariage de Montpensier avec l’Infante, aussi longtemps qu’elle sera héritière présomptive du trône d’Espagne. Le Roi abandonne sa ligne de conduite ; il insistait pour un Bourbon parce que, affirmait-il, il ne voulait pas marier un de ses fils avec la Reine ; et maintenant il unit la Reine au pire Bourbon qu’il y ait, et son fils à l’Infante, qui, selon toutes probabilités, deviendra reine ! C’est trop fort. Certainement Palmerston a mal manœuvré à Madrid, comme le dit Stockmar, en insistant pour don Henri, en dépit de tout ce que Bulwer pouvait dire. Si notre cher Aberdeen était encore à son poste, tout cela ne serait pas arrivé : il n’aurait pas imposé don Henri (ce qui irrita Christine), et, d’autre part, Guizot n’aurait pas dupé Aberdeen, par désir de le vaincre, comme il l’a fait pour Palmerston, qui a agi, je dois le reconnaître, avec franchise et loyauté vis-à-vis de la France dans toute cette affaire. Mais quoi qu’il en soit, c’est encore lui qui indirectement nous suscite une querelle d’un caractère personnel, qui me peine et m’afflige. Je plains le pauvre bon Piat[1], que nous aimons beaucoup. Ce qui me console, c’est qu’en nous opposant à ce mariage, nous ne troublons pas réellement son bonheur, car il n’a jamais vu l’Infante, — et c’est une enfant de quatorze ans, pas jolie. Je plains beaucoup la petite Reine, car la pauvre enfant déteste son cousin, et on dit qu’elle a consenti contre son gré. Nous verrons si elle l’épousera réellement. Quoi qu’il en soit, cet incident est très ennuyeux et va troubler nos bonnes relations avec la famille française, au moins pour quelque temps.

J’ai été obligée d’écrire très nettement et franchement à la pauvre Louise. Vous pouvez compter que nous agirons sans témérité et avec modération. Lord Palmerston est tout à fait décidé à se laisser guider par nous. En hâte, toujours votre nièce dévouée.

  1. Surnom familier donné au duc de Montpensier.