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rude travailleur devenu grand industriel ; il aurait besoin de trouver dans sa femme une compagne, une amie, une associée. Or, il a épousé, pour sa beauté, une femme frivole, Henriette, qui brûle de le tromper avec un brillant gentilhomme, Jacques d’Arvant. Ce qu’il lui aurait fallu à ce brave homme de François, c’est une brave petite femme, comme cette Pauline Clermain qu’il emploie dans ses bureaux et dont chaque jour il admire davantage le sérieux, la douceur, le charme honnête et grave. Le bonheur était là, et telle est la découverte que François Desclos est en train de faire. Elle n’a rien d’extraordinaire, ni de rare, cette découverte : c’est celle que fait tout mari, le jour où il n’aime plus sa femme. Ce jour-là, il est assuré de trouver tout près de lui celle qu’il aurait dû épouser ; c’est même, parce qu’il vient de trouver cette compagne selon son cœur, que la présence de sa compagne suivant la loi lui est devenue insupportable. Mais pour être heureux faut-il jamais croire que le moment soit passé ?

L’individu à la poursuite du bonheur et qui voulait refaire sa vie, apercevait jadis devant lui l’obstacle de la loi. Uni pour toujours à une femme qu’il n’aimait plus, il en était réduit à faire de l’autre sa maîtresse. Cela présentait toute sorte d’inconvéniens, outre celui de chagriner la morale. Le l’établissement du divorce fut, dans le sens que nous indiquons, un progrès appréciable. Mais quoi ! Libéré de la contrainte des lois, on se retrouve en présence de celle des préjugés. Jacques d’Arvant exprime une vérité d’observation, quand il dit : « Vous ne savez pas l’horreur que dans mon monde on a pour le divorce. Les maisons se fermeraient d’elles-mêmes. Il faudrait fréquenter des milieux inférieurs. Déclassés ou déchus, il n’y a pas d’autre choix. » C’est cette prévention antique qu’il s’agit de dissiper, et c’est à quoi tend Chacun sa vie.

Car un préjugé doit céder devant l’accomplissement d’un devoir. L’homme qui fait ce qu’il doit n’a rien à craindre de l’opinion : tôt ou tard, il en brise les résistances les plus opiniâtres. Donc le divorce, qui jusqu’ici nous avait été présenté comme une "« faculté » dont on pouvait user dans certains cas extrêmes, va être cette fois posé comme une « obligation. » Après le divorce par consentement mutuel, et le divorce par consentement d’un seul, voici le divorce par devoir. Il faut que Mme Desclos divorce. Il faut que Jacques d’Arvant épouse la femme divorcée de M. Desclos. Et celui qui en ordonne ainsi est M. Desclos lui-même. Ne croyez pas d’ailleurs que ce soit par esprit de vengeance et qu’il impose le mariage aux coupables comme un châtiment. D’abord, la faute n’a pas été consommée. Ensuite, M. Desclos n’est pas