Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/449

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

généreuses de son cœur. Après nous avoir décrit naguère, et à plusieurs reprises, le cauchemar d’une organisation sociale supprimant du monde toute liberté et toute beauté, sous prétexte de nivellement collectiviste, il se mit à rêver lui-même un tel nivellement, et nous exposa d’abord son rêve nouveau dans des ouvrages de pure théorie, tout semés de vues ingénieuses et d’amusans paradoxes. Après quoi, fatalement ressaisi par son génie de conteur, il voulut recommencer la série de ses romans, pour l’employer désormais à la propagation et à la défense de l’idée socialiste ; et alors s’ouvrit, dans son œuvre, une seconde période, de même qu’il nous prédit qu’une deuxième ère naîtra, pour notre globe, de l’heureuse rencontre de celui-ci avec une comète.

Mais je ne crois pas que personne, même parmi ses admirateurs les plus assidus, puisse juger heureuse cette deuxième ère de sa vie de romancier. Car non seulement l’ardeur de ses convictions l’empêche de s’intéresser autant qu’il devrait aux inventions romanesques qui servent de cadre et de supporta sa thèse ; non seulement le sociologue, à présent, reparaît toujours sous le romancier : nous sentons, en outre, que l’idéal socialiste et « moderniste » qu’il nous prêche lui tient beaucoup plus à la tête qu’au cœur, et qu’à chaque instant il est obligé de faire un effort sur soi-même pour se pénétrer du sérieux et de la vérité de ses affirmations. Son dernier roman, en particulier, Aux jours de la comète[1], causera une déception pénible à tous ceux qu’auront enchantés, jadis, sa Guerre des Mondes et son délicieux récit des amours de M. Lewisham.

Ils y trouveront bien une intrigue amoureuse, les aventures d’un jeune commis qui, apprenant la fuite de sa fiancée avec un riche « milord, » se lance à la poursuite du ravisseur, le rejoint, et déjà lève la main pour le tuer, lorsque le choc soudain de la comète, en même temps qu’il transforme la terre en un paradis, le transforme en un parfait communiste, tout prêt à céder sa bien-aimée à son ex-rival, devenu son frère. Et, autour de cette intrigue, M. Wells nous offre encore nombre d’épisodes, destinés à mettre en relief l’énorme différence des mœurs, des sentimens, et de toute la vie humaine, avant et après l’opportune comète : nous faisant assister, par exemple,

  1. At the Days of the Comet, par G. Wells, un vol. Londres, Macmillan, 1907.