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recueils, comme l’affirment couramment, aujourd’hui, les critiques de la génération nouvelle ? ou bien est-ce lui-même qui s’est trompé, en se figurant que la verve de ses formules, unie à l’exaltation effrénée de la vanité et de l’ambition natives de sa race, pourrait indéfiniment lui tenir lieu de cette chaleur de sympathie que tous les grands romanciers ont mise à concevoir les hommes et les choses qu’ils nous présentaient ? Et consentira-t-il enfin à reconnaître, après l’échec trop certain de son dernier livre, que toutes les ressources de l’esprit sont insuffisantes pour rendre durable la vie d’une œuvre d’art, si l’on n’y ajoute pas le libre don, le don gratuit et complet, de son cœur ?


Ce don précieux, jamais M. George Wells ne l’a refusé aux aventures même les plus étranges que nous avons vues jaillir de son fécond et charmant génie. Qu’il nous racontât l’effroyable invasion de l’Angleterre par les habitans de la planète Mars, ou simplement les médiocres amours d’un maître d’études et d’une sténo-dactylographe dans la banlieue de Londres, nous avons toujours senti que les histoires qu’il inventait l’intéressaient, lui-même, profondément : et ainsi il n’y a point d’invraisemblance qu’il n’ait réussi à nous faire admettre. Son œuvre, quand on la jugera d’ensemble, dans quelques années, surprendra par la richesse de vie qu’il y a déposée : sous la singularité plus ou moins « scientifique » des sujets de ses romans, on découvrira un groupe nombreux de figures caractéristiques, chacune ayant sa physionomie propre, chacune observée et reconstituée avec un art excellent de conteur-psychologue. Malheureusement, un accident est arrivé à M. Wells, depuis quelques années, qui risque de nuire à la qualité littéraire de sa production présente et future. Dans son dernier roman, il imagine qu’une comète, en touchant la terre, a transformé celle-ci au point d’en faire un véritable paradis ; et sans cesse le héros du roman, dans les « mémoires » qu’il est censé rédiger à notre intention, divise l’histoire du monde en deux époques : « avant » et « après » la Comète. Or, de la même façon, on serait tenté de diviser en deux époques l’œuvre romanesque de M. Wells : « avant » et « après » la conversion de l’auteur au socialisme.

M. Wells était né pour saisir et nous traduire, par le moyen d’une ironie des plus originales, l’incurable faiblesse de notre