fois, et déjà d’expérience que son jeune confrère français ou italien. Et le fait est que, parmi les nombreux romans que j’ai lus, il m’a bien semblé que les médiocres étaient d’une médiocrité relativement plus « distinguée » que l’ordinaire des romans de chez nous. Je n’en ai trouvé aucun qui ne se laissât lire, et qui même n’offrît un mérite réel, soit pour l’invention de l’intrigue ou, plus souvent encore, pour l’observation des sites ou des mœurs. Après cela, peut-être les éditeurs ne m’ont-ils pas envoyé absolument tous leurs livres, et, faute de pouvoir appuyer leur choix sur d’autres critères, peut-être ont-ils voulu ne me donner à lire que ceux de leurs romans qu’ils savaient « lisibles ? »
Quoi qu’il en soit, je n’ai pas le souvenir de m’être ennuyé un instant, à la lecture de ces nombreux volumes ; et l’aimable impression que j’en ai remportée tient certainement, en partie, aux qualités propres des jeunes romanciers anglais : mais sans doute elle tient aussi, pour beaucoup, à la diversité des sujets traités. Car on n’a pas assez dit quelle action bienfaisante a exercée, sur le développement du roman anglais, ce règne séculaire des « convenances » qui, naguère encore, scandalisait les « délicats » aux quatre coins du monde. En interdisant aux romanciers d’insister jamais sur l’élément « sensuel » de l’amour, ces « convenances » les forçaient à chercher ailleurs des sources d’intérêt romanesque, et à les chercher en dehors de la peinture même de l’amour le plus idéal : celle-ci exigeant un art trop habile et trop raffiné pour pouvoir être continuée, durant tout un roman, sans courir le risque de lasser l’auteur et son lecteur. Aussi la peinture de l’amour n’a-t-elle tenu qu’une place très restreinte dans le roman anglais du XIXe siècle ; et c’est parce qu’ils ne pouvaient pas assigner à l’amour le premier rôle, dans leurs récits, que les romanciers ont pris l’habitude d’y admettre tout le reste des choses, chacun y introduisant les sujets qu’il avait le mieux observés, ou qui répondaient le mieux à sa curiosité personnelle. Il y a même eu des écoles de romanciers, et parmi les plus hardies et les plus « littéraires, » qui ont tout à fait exclu l’amour de leurs romans, sauf à le remplacer, — comme j’aurai bientôt à le noter plus en détail, — par des peintures ou des analyses autrement scabreuses que celles que leur défendait la « pruderie » de leur race. Mais dans tous les cas, avec ou sans une intrigue amoureuse, le roman anglais dispose aujourd’hui, grâce à la longue contrainte qu’il a eu à subir, d’un domaine infiniment