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dans Edwin Drood ne l’a pas empêché de rester le puissant créateur de vie qu’il était. Puisse, pareillement, M. de Morgan consentir à se préoccuper des exigences du goût moderne, en fait de roman, et sacrifier à ce goût l’exubérance, jusqu’ici indomptée, de sa fantaisie ! C’est à ce prix seulement que son remarquable et délicat talent pourra porter ses fruits.


II

Lorsque, il y a quatre ou cinq mois, l’idée m’est venue d’étudier la situation présente du roman en Europe, j’ai écrit aux divers éditeurs anglais pour les prier de vouloir bien m’envoyer ceux de leurs romans nouveaux qui, à leur sentiment, possédaient une véritable valeur littéraire. Avec une obligeance dont il faut, d’abord, que je les remercie, ces messieurs ont encore dépassé mon désir : au lieu de choisir pour moi les meilleurs, parmi leurs romans de l’année, ils me les ont envoyés tous, me donnant ainsi à entendre que, pour leur cœur paternel, chacun de ces enfans était digne de ses frères. Si bien que je me suis vu en présence de plus de cent cinquante volumes, et dont les deux tiers, — je dois l’avouer, — étaient l’œuvre d’écrivains que je n’avais jamais eu l’occasion de lire jusqu’alors. Impossible de deviner la valeur de ces volumes d’après leur aspect extérieur : presque tous, au point de vue de la typographie, du papier, de la reliure, m’attiraient également par un mélange parfait d’élégance et de commodité. Impossible de deviner leur valeur d’après les opinions exprimées sur eux dans la presse, encore que beaucoup d’entre eux, dans des pages supplémentaires ou des feuilles encartées, reproduisissent quelques lignes de ces opinions : car celles-ci étaient invariablement des éloges, et presque toujours d’un enthousiasme trop vague pour avoir de quoi me renseigner sur le mérite particulier d’œuvres dont elles se bornaient à me garantir l’excellence. Il m’a donc fallu m’informer par moi-même de ce mérite, et, ne pouvant faire un choix, explorer tour à tour les cent cinquante romans. L’exploration a été longue : mais elle s’est trouvée, au total, infiniment plus facile que je ne l’aurais cru, et m’a laissé une impression d’ensemble tout à fait agréable.


D’une façon générale, le romancier anglais d’aujourd’hui