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Car il est, tout d’abord, un lettré, infiniment plus curieux d’art et de beauté formelle que ne l’était l’ignorant, ou plutôt l’ « autodidacte » Dickens. La langue qu’il écrit n’a point la simplicité, souvent un peu commune, de celle de Dickens : c’est une langue travaillée, ornée, et d’une élégance qui ne va pas sans quelque afféterie. Avec cela, une observation beaucoup plus sensible au dedans des choses qu’à leur apparence extérieure, une observation de psychologue, ou encore de poète et de musicien, et non pas de peintre, comme chez Dickens. Sans compter qu’à cette différence manifeste d’origine, d’éducation, et de tempérament, s’ajoute la différence des époques : car M. de Morgan ne saurait se défendre d’être de son temps, et peut-être les influences de Stevenson, de M Meredith, et de certains de nos conteurs français, ont-elles bien autrement contribué à la formation de son talent que celle de Dickens, malgré son intime parenté naturelle avec ce dernier. Mais cette parenté n’en ressort que plus vivement, sous l’extrême diversité de l’esprit et du langage des deux romanciers ; et il n’y a pas jusqu’à l’inspiration morale qui ne leur soit commune, sous la diversité des doctrines religieuses dont ils sont nourris. Tout de même que Dickens, M. de Morgan, — qu’il le sache ou non, — est profondément, irrésistiblement, un « chrétien ; » et il l’est de la même façon que l’auteur des Contes de Noël, avec le même amour du pauvre, de l’infirme, du faible d’esprit, de l’ « humilié » et de l’« offensé, » avec le même besoin passionné d’exalter les humbles et de rabaisser les puissans, avec la même tendance à concentrer dans le seul amour toute la somme de nos droits et de nos devoirs. . Cette morale, chez Dickens, s’appuyait sur l’Evangile, regardé comme un message exprès de la grâce divine ; chez M. de Morgan, elle ne s’appuie sur aucun texte, et ne se recommande à nous que de sa beauté : mais, dans les deux cas, elle est l’expression d’une âme « naturellement chrétienne, » de telle sorte que, ici encore, sous les traces évidentes des influences philosophiques les plus modernes, depuis celle de Nietzsche jusqu’à celle de la Société des Recherches Psychiques, l’auteur d’Alice Tout-Court nous apparaît l’authentique descendant du plus grand et du plus fameux des romanciers anglais.

J’aimerais à pouvoir ajouter que les deux romans de M. de Morgan, avec ces précieuses qualités littéraires et morales qui les rattachent aux romans de Dickens, se rattachent encore à