Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/430

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’est vendu autant que les siens ; l’année dernière, déjà, une seule des nombreuses maisons qui les publient en a vu partir 400 000 exemplaires. La grande édition « critique » de son œuvre s’est poursuivie, de mois en mois, avec un succès merveilleux[1]. Au Guildhall de Londres, une « Bibliothèque Nationale de Dickens » va être inaugurée, qui sera un précieux musée en même temps qu’une bibliothèque, réunissant tous les portraits du romancier, toutes les illustrations de ses récits, toutes leurs éditions anglaises et étrangères, les principaux livres et articles qui leur ont été consacrés dans les divers pays ; et la curiosité passionnée avec laquelle le public anglais s’intéresse à l’enrichissement de cette « Bibliothèque Nationale » suffirait à prouver combien l’auteur de David Copperfield lui est profondément et intimement cher, non pas à la façon d’un écrivain de génie, mais plutôt d’un ami personnel, d’un compagnon familier toujours actif à divertir et à consoler. L’œuvre de Dickens est restée si vivante, pour ses compatriotes, qu’au besoin elle les dispenserait d’avoir à lire d’autres romanciers ; et l’on comprend sans peine que bon nombre des romanciers d’aujourd’hui s’efforcent, plus ou moins consciemment, à imiter la manière d’un maître dont ils connaissent l’immense pouvoir sur l’âme de leurs lecteurs. A chaque pas, dans la longue promenade que je viens de faire parmi les romans de l’année présente, j’ai rencontré des aventures, des types, des procédés de description ou de plaisanterie, qui, pour avoir subi une transposition souvent fort adroite, n’en avaient pas moins été évidemment empruntés à l’inépuisable répertoire des romans et des contes de Dickens.

Mais ce n’est pas font. A force d’être imprégnés du génie de ce maître, et de vivre dans une atmosphère qui en est de plus en plus imprégnée, les jeunes romanciers anglais commencent, me

  1. Parmi les principales nouveautés « dickensiennes » de l’année, je dois signaler encore la réédition, en dix-huit petits volumes populaires, des fameux numéros de Noël des deux revues All the year Round et Household Words. Chaque hiver, Dickens imaginait un roman « à tiroirs » ou un cycle de contes, dont il écrivait lui-même les premiers chapitres, et confiait ensuite l’achèvement à divers collaborateurs. Les chapitres écrits par lui figurent dans toutes les éditions de ses œuvres, et plusieurs d’entre eux sont justement tenus pour des merveilles d’émotion ou de fantaisie : mais les suites de ces Histoires de Noël n’avaient encore jamais été réimprimées. Elles abondent en pages charmantes, écrites notamment, sous l’inspiration directe du maître, par Mme Gaskell, Wilkie Collins, Robert Buchanan, Edmond Yates. etc.