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se trouve le foyer : l’homme, s’il s’éloigne pour travailler, retournera toujours au village qu’habitera sa femme. Mais pour que la femme demeure au village, il faut qu’elle puisse y subvenir à ses besoins, et aux besoins de ses enfans ; il faut que dans les mois où elle ne va pas aux champs, elle ait un métier qui lui rapporte quelque profit. Or, dans le temps, il existait de petites industries rurales, qui, sans être pénibles ni exclusives, procuraient des bénéfices appréciables. Ces industries, qui ont disparu de nos campagnes, M. Engerand[1] nous révèle que des États étrangers, comme la Russie, la Hongrie, l’Angleterre, les favorisent tout particulièrement. En Russie, par exemple, le gouvernement donne à fabriquer aux paysans d’une région les diverses pièces du harnachement militaire ; en Hongrie, une société d’encouragement pour les travaux manuels des paysannes, que patronne l’archiduchesse Isabelle, leur réserve presque exclusivement la confection des toilettes de gala ; en Angleterre, la duchesse d’Abercorn a décidé le ministère de la Guerre à faire exécuter pour l’armée, annuellement, 14 000 paires de chaussons par les paysannes de Baronscourt ; celles de Garry-Hill font les broderies qu’on utilise pour les grandes toilettes ; celles d’Aghors et de Courtorn-Harbour font les bas et les houseaux pour les chasseurs. Ne pouvait-on, en France, instaurer, ou plutôt restaurer, des industries analogues ?

Or, l’industrie de la dentelle à la main a très longtemps été une des plus florissantes de France. Femmes et enfans, vieilles femmes aussi, pouvaient s’y adonner, sans fatigue, à la maison, en plein air ou dans les chambres ; c’était un travail qu’on laissait quand un autre plus urgent vous réclamait, et qu’on reprenait à son gré ; il rapportait enfin un salaire moyen de 2 francs par jour. Sous le second Empire, dans le seul département du Calvados, il y avait 50 000 dentellières représentant une main-d’œuvre de plus de 30 millions. Non seulement les mères enseignaient la dentelle à leurs petites-filles, mais presque toujours près de l’école primaire se dressait une école de dentelles. En dehors de l’école, la dentelle s’exécutait à domicile, ou bien en commun dans ce qu’on appelait les chambres de dentelle, sortes d’ouvroirs, ou bien dans les paillots, des étables tout simplement ; là, assises sur la paille, réchauffées par la chaleur des bestiaux, à

  1. La dentelle à la main, par Fernand Engerand, p. 7, 12, Lecoffre, édit.