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un immeuble de 4 500 francs, et il reçoit de ses sous-locataires la somme de 90 francs.

Dans cette annuité rentre une prime d’assurance prise sur la tête de l’ouvrier au bénéfice de l’Association. Le montant de cette assurance est le montant même de la somme déboursée par l’Association pour l’achat du terrain et la construction de la maison de l’ouvrier sur ce terrain.

Il y avait, à Saint-Etienne, un ouvrier, père de six enfans en bas âge, socialiste, presque anarchiste, et qui défendait à sa femme d’aller à l’église.

Depuis six mois, il était sans travail et le pain manquait à la maison. Le Père Volpette lui offrit un champ ; l’ouvrier accepta, mais à la condition qu’il ne serait pas contraint d’assister à la messe. « Vous n’irez pas à la messe, » lui répondit le Père, qui lui bâtit une maison dans son jardin.

L’ouvrier n’en revenait pas, mais il ne désarmait pas non plus, car il craignait de découvrir dans ce bienfait un piège. Peu à peu, cependant, ses préventions tombèrent. Il se mit à aimer le Père d’une vive affection, un peu égoïste, sans doute, mais rude et franche comme sa personne.

Un jour qu’il était en veine de confidences, il lui dit

— Pourquoi donc m’avez-vous choisi ? Vous saviez bien qui j’étais !

— Oui, je le savais, on m’avait même dit que vous étiez pire que vous n’êtes en réalité.

— Que vous avait-on dit ?

— On m’avait dit que vous étiez anarchiste, bien plus, le chef des anarchistes de Saint-Etienne.

— Oh ! ça, non… Et pourtant… l’anarchie, ça a du bon… Mais enfin, pourquoi m’avez-vous choisi ?

— Vous voulez le savoir ? Je vous ai choisi parce que vous êtes un brave homme, que vous avez six bons petits enfans et une excellente femme, que vous étiez sans travail depuis six mois et que vous mouriez tous de faim.

Depuis, ses enfans ont été baptisés, et sa femme peut aller à l’église quand elle en a envie, Comme un jour ses compagnons lui demandaient : « Pourquoi vas-tu avec ce curé ? » il répondit : « Ce curé-là est plus socialiste que nous[1]. »

  1. Les jardins ouvriers à Saint-Etienne, par le P. Piolet, Lecoffre.