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s’abaissa jusqu’à n’être plus qu’une simple « idée de souveraineté territoriale[1]. » Ce fut le cas dès la Renaissance : « Quiconque, dit M. Hill, tenait en sa possession un territoire particulier, assumait sur ce territoire les droits que l’Empereur avait précédemment exercés. Les rois et les peuples d’Angleterre, de France et d’Espagne, aussi bien que ceux de la Scandinavie et des pays slaves, ne reconnaissaient aucune subordination à l’Empereur. Même en Allemagne, l’autorité impériale avait été réduite à une suprématie purement nominale, tandis que, dans la pratique, les grands princes gouvernaient leurs pays en souverains indépendans (II, 349). »

Pourtant, déjà dans la plus belle période de l’idéal impérial, la société civile, qui s’en réclamait, avait trouvé à côté d’elle une autre société déjà tout organisée : l’Eglise ; et celle-ci cherchait de même à étendre son pouvoir. Chacune de ces deux sociétés juxtaposées fut « impérialiste » à sa manière ; chacune fut également entraînée par la « volonté de puissance. » Le chef de l’Église, le Pape, s’efforçait de consolider son autorité spirituelle par un pouvoir matériel, territorial et militaire, tout comme l’Empereur s’efforçait de relever son pouvoir matériel par la part d’autorité spirituelle qu’il revendiquait ; et ces deux « impérialismes » opposés devaient nécessairement se heurter. Les adeptes du matérialisme historique, forcés d’abord de reconnaître l’importance de l’idée morale dans le conflit, reprendraient ici confiance en leur doctrine : en dernière analyse, soutiendraient-ils, cette lutte des deux pouvoirs se ramène à une lutte d’intérêts, c’est-à-dire de besoins, puisque derrière la question des investitures il y a celle des biens ecclésiastiques. Cela est peut-être plus spécieux que vrai : par-dessous les longues querelles de la suprématie des pouvoirs, on reconnaît surtout ces insolubles problèmes où se morfondit si longtemps la pensée de nos pères : Laquelle de nos deux natures est la dominante ? L’âme est-elle soumise au corps, ou l’inverse ? Quelle est la véritable réalité, celle des objets ou celle des idées ?…

Pendant des siècles, le conflit reste à peu près limité entre le Pape et l’Empereur, et route surtout sur les proportions dans lesquelles l’autorité doit se partager entre eux. Mais plus tard, avec la formation des grandes nationalités et leurs développemens,

  1. Hill, II, 349.