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ont tendu, d’une part à créer de nouveau un Empire formé sur le modèle de l’ancien imperium romain, d’autre part à contrarier cet effort et à assurer aux diverses nations de l’Europe les garanties de leur indépendance et leurs droits à la souveraineté nationale. Le Romain et le Germain, en employant ces expressions dans leur sens le plus large, ont représenté deux forces opposées dans la création du monde moderne. Ni l’une ni l’autre n’a complètement triomphé, mais l’organisation de l’une et la liberté de l’autre ont contribué à produire le système politique des temps modernes (p. 33-34).


Ainsi se forma le type idéal de l’Empire, adaptation de l’idée théologique qui représentait la terre, à l’image du ciel, comme une hiérarchie organisée ; la formation de l’Etat fut assimilée à celle de l’Eglise ; le chef de l’Etat dut conformer ses attributions à celles des chefs de l’Eglise. « Le Pape, en qualité de vicaire de Dieu, est chargé de mener les hommes à la vie éternelle ; l’Empereur, en qualité de vicaire temporel, doit régler de telle sorte leurs rapports mutuels, qu’ils puissent satisfaire en sécurité à leurs obligations religieuses et atteindre par là cette fin suprême et commune du bonheur éternel… La Sainte Église romaine et le Saint Empire romain ne sont donc qu’une seule et même chose vue par ses deux faces[1]. » Intervenant dans cette conception avec ses habituelles facultés de simplification, l’imagination populaire fait de l’Empereur, au même degré que du Pape, un représentant de Dieu sur la terre, et compte sur lui pour assurer le triomphe de la paix, de la justice, de la fraternité[2]. Au fond, Victor Hugo a très bien résumé cette conception dans son vers fameux :


… Ces deux moitiés de Dieu, le Pape et l’Empereur…


Comme on le voit, l’idée de la souveraineté spirituelle et morale restait liée à celle de la souveraineté temporelle au point d’en être inséparable. Celle-ci semblait même subordonnée à celle-là, puisqu’elle avait pour mission principale de l’appuyer, d’en assurer l’exercice ; et la première prêtait à la seconde comme un reflet de son autorité surnaturelle. Jamais peut-être les hommes ne trouvèrent une conception plus haute et plus complète, dans son imposante unité, du pouvoir qui doit régler leurs relations au mieux de leurs intérêts les plus élevés et dans un esprit de justice. Mais, peu à peu, cette belle conception se rétrécit,

  1. Bryce, loc. cit., p. 134-36.
  2. Id., ibid., p. 167.