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pas une coutume européenne, pas une branche de savoir distinctement européenne, n’ont jamais pénétré en Asie (p. 25). » Il est vrai que M. Townsend ne dépasse pas les bornes de notre horizon historique. Il parle surtout de ce qu’il a vu : on a peu de chances, par cette méthode, d’embrasser toute la vérité ; mais peut-être nous fournit-elle le seul moyen d’en saisir les parcelles que nous en pouvons étreindre. En tout cas, il est instructif de rapprocher ces observations exactes, directes et limitées des vastes généralisations que nous avons devant les yeux. Elles répondent à la fois aux thèses de Gobineau et à celles de M. Finot : en affirmant la différence des races, avec une telle énergie qu’elles la proclament irréductible et écartent ainsi toutes les tentatives d’unification de l’humanité, elles semblent plutôt conclure contre l’affirmation de leur inégalité. De récens événemens ont montré qu’une telle réserve est prudente, — si du moins la force guerrière est l’apanage ou la preuve de la supériorité.

En raison même de son étendue, la base des recherches et des affirmations de Gobineau est d’une extrême fragilité : si elle ne s’est pas dérobée sous ses pas, grâce à la robustesse de sa foi, elle se dérobe sous ceux de ses critiques. Et son système, — dont l’ensemble est d’ailleurs homogène et dont les parties sont bien agencées, malgré quelques contradictions que M. Seillière n’a pas manqué de relever, — son système apparaît surtout comme une belle construction fantaisiste, œuvre d’un esprit puissant, incomplet, original, paradoxal et passionné, qui ne put assister aux spectacles du monde sans en chercher les lois, et crut trouver dans l’idée de race les élémens d’une synthèse colossale et définitive. Impossible de l’accepter en soi, — pas plus qu’on ne peut accepter intégralement l’un ou l’autre des systèmes du monde dont l’édification a absorbé l’effort des métaphysiciens. C’est comme une vaste nébuleuse, où s’agitent des débris de sociétés disparues dont il ne subsiste que des vestiges méconnaissables, où des visions prophétiques d’un avenir incalculable viennent se mêler à des hypothèses fabuleuses sur un passé inconnu. Tout cela ne va pas à dire que cette œuvre soit négligeable. M. Seillière en a parfaitement marqué la portée, en écrivant dans ses conclusions :


Dans l’histoire des idées, la valeur des œuvres s’établit non par leur mérite intrinsèque, mais par la portée, la durée de leur influence. Et celle