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donné, jusqu’à présent, trois volumes, auxquels on peut reprocher trop de longueur et d’abondance, mais qui, du moins, réalisent leur programme. La substance en est fournie, plutôt que par l’observation des phénomènes historiques, par les ouvrages fameux dont ils exposent et discutent, à leur point de vue spécial, les théories. Peut-être nous arrivera-t-il quelquefois de nous référer à ces ouvrages mêmes ; mais il est entendu que c’est principalement à l’interprétation de M. Seillière que nous nous attachons ici, afin de dégager les traits les plus décisifs de ce qu’il a nommé sa « philosophie de l’Impérialisme. »

La première œuvre à laquelle s’est arrêté M. Seillière est celle du comte de Gobineau : un penseur dont la fortune a été bien singulière, à coup sûr, puisque ses écrits, quasiment ignorés de son vivant, mais admirés par un petit cercle d’enthousiastes, ont été tirés de l’oubli assez longtemps après sa mort, et imposés par la critique allemande, ou plus exactement « wagnérienne, » à son pays d’origine[1]. Le fait paraîtra moins étonnant à la réflexion, si l’on observe que Gobineau manquait des qualités de précision, de clarté, de style, qui aident les idées nouvelles à faire leur chemin. Exposées par lui, ses doctrines restaient sans attrait. Elles n’en ont pas moins inspiré, comme nous le montre M. Seillière, deux des hommes dont l’influence a été la plus considérable sur la génération actuelle, Wagner et Nietzsche. C’est surtout après eux, indirectement par eux, et par d’autres encore, qu’elles se sont peu à peu répandues ; de sorte qu’on en trouve aujourd’hui la substance en maint endroit, et que leur action est fort étendue. Dans l’ordre politique ? Non pas : Gobineau, profondément aristocrate, se trouve en désaccord flagrant avec les tendances égalitaires qui prévalent un peu partout ; mais dans l’ordre intellectuel et dans cette philosophie encore mal classée qui cherche à utiliser, pour l’étude des phénomènes humains, les données de l’histoire et de la préhistoire universelles, de la philologie comparée, de l’ethnologie, de l’anthropologie, etc. L’immensité même de ce cadre peut bien nous inspirer, a priori, quelque méfiance ; et en fait, il suffit

  1. Parmi les meilleures études consacrées en français à Gobineau, je citerai celle de M. Ed. Schuré, dans Précurseurs et révoltés (in-18, Paris, 1904) ; et le livre de M. R. Dreyfus, la Vie et les Prophéties du comte de Gobineau (in-18, Paris, sans date).