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couleur de laïcité, menacent de dilapider ce capital incomparable d’influence morale et d’avantages matériels qu’à travers les siècles, depuis Charlemagne jusqu’à Gambetta, Carnot et Félix Faure, les divers gouvernemens qui se sont succédé dans notre pays ont accumulé.

La politique, c’est les intérêts : ce n’est pas aux Italiens qu’il est besoin de l’apprendre. Le dévouement aux idées passe, chez eux, au second plan : ne cherchons pas s’il convient de les en féliciter ou de les en plaindre, mais constatons les bénéfices qu’ils tirent de leur méthode. Ils ont d’abord tenté, en essaimant, dans les ports du Levant, des écoles laïques italiennes, d’enlever leur clientèle à nos établissemens scolaires ; ils ont échoué, ils le constatent, et, très résolument, sans se soucier qu’il y ait ou non contradiction entre la veille et le lendemain, ils changent de tactique ; la France rompant avec le Saint-Siège, l’occasion leur semble propice pour s’emparer de notre Protectorat et attirer les élèves à des écoles catholiques italiennes ; ils multiplient les efforts, accroissant leurs subsides[1] à mesure que l’Etat français se fait plus parcimonieux et rogne la portion des écoles religieuses. Officiellement, on donne à la diplomatie française de bonnes paroles. Le gouvernement italien, lui dit-on, trouve naturel que la France désire que sa politique religieuse ne se traduise pas par une diminution de prestige en Orient. Mais, sur place, dans les ports du Levant, la lutte se poursuit, âpre, tenace. Un témoin laïque écrit de Smyrne : « La lutte est menée contre nous avec un acharnement que je ne m’explique pas. » L’explication cependant n’est pas très difficile à découvrir : le prestige de la France en Orient est si ancien et si solidement enraciné qu’il résiste aux assauts les mieux conduits mous seuls, de nos propres mains, pourrions réussir à le ruiner. Malgré tous leurs efforts, les Italiens n’ont dans leurs écoles qu’un nombre relativement minime d’élèves. A Smyrne, chaque école n’en a guère qu’une cinquantaine, tandis que les nôtres réunies atteignent quatre mille. Mais le succès vient toujours aux persévérans, et déjà, les écoles des Italiens sont en progrès comme leur commerce ; ils comptent, pour achever leur victoire, sur la réconciliation espérée de la monarchie avec la papauté et sur la politique du parti radical en France.

  1. Ce chapitre du budget italien, est passé de 900 000 lire en 1896 à 1 125 000 en 1904.